Des photos qui vous invitent à pénétrer le mystère de la souffrance
Après avoir fait la une de l’actualité dans l’Hexagone en mai dernier, l’exposition de photos de la franco-péruvienne Céline Anaya Gauthier a atterri à Montréal, Canada, pour faire vivre aux canadiens la dure réalité des coupeurs de canne haïtiens en République Dominicaine.L’un des témoignages les plus touchants de cet évènement est celui du
Quand je regarde plusieurs de ces photos, je revis des moments intenses que j`ai eu la joie de connaître dans les bateys du sud-ouest de la République Dominicaine. Par exemple, cette photo de la dépouille de Saintilien sur son lit de mort chez moi dans le Batey 5. Je revis le moment où il est arrivé chez moi, maigre, sans force, désespéré. Je revis le moment où j’ai du lui annoncer qu`il était atteint du SIDA. Et puis le long cheminement que nous avons fait ensemble jusqu’à son départ pour le pays sans chapeau. Quelques jours avant sa mort, les quelques 15 orphelins haïtiens qui vivaient chez moi ont entouré Saint Hilien et puis au milieu des chants, je lui ai imposé les mains pour lui donner la force de continuer son voyage. Un moment d’une dignité intense. Quelques heures après sa mort, une cinquantaine de coupeurs de canne-à-sucre sont venus rendre un dernier hommage à ce chauffeur de taxi qui avait quitté son pays pour pouvoir payer une dette. Toute la nuit ils ont chanté, toute la nuit ils ont dansé. Toute la nuit ils ont prié. Au petit matin, il fallait les voir danser avec le cercueil de leur compagnon jusque le trou creusé dans la terre…
En regardant la photo de Tina dans son cercueil, je ne peux m`empêcher de la voir marcher avec son compagnon Lafimen, un vieux coupeur de canne-à-sucre qui est maintenant aveugle à force de couper la canne. La seule richesse de Tina était son Dieu. Quand elle est morte, les habitants du Batey 3 ont entouré son cadavre de fleurs rouges. Ils étaient convaincus que Tina n’était pas morte. Elle avait tellement de foi…Vous avez aussi cette photo de Lider en train de montrer la moitié de sa carte de coupeur de canne-à-sucre. Lider est un jeune haïtien de la région de Port de Paix. Il avait déjà commencé les études secondaires. Mais à cause de la misère, il avait abandonné ses études pour chercher la vie en RD. Nous étions devenus des amis. Avec lui, nous avions formé un groupe de chanteurs haïtiens. C`est eux qui interprètent la plupart des chants que vous avez sur le CD. J’avais convaincu Lider qu’il fallait mieux pour lui retourner dans sa terre natale. Avec un groupe d`une douzaine d’autres adolescents, il avait accepté de rentrer chez lui. Pour ne pas perdre la face, je lui avais donné une belle chemise et un beau pantalon. Quand il est arrivé chez lui, il n’à jamais osé raconter l’enfer qu’il avait vécu. Et ses parents ont cru que ça avait bien été en Dominicanie et il a du retourner dans l`enfer poussé par les siens.Mais vous savez, derrière toutes ces photos, je contemple le même visage : le visage du Maître. Celui qu`on a un jour cloué sur une croix. Oui ! Sur ces photos, je vois la croix du maître de Nazareth. Une gigantesque croix poussée sans fin dans les bateys : la croix de l`humiliation, la croix de l’esclavage, la croix du mépris, la croix du racisme, la croix de l`oppression. J`ai eu la chance, la merveilleuse chance de vivre au pied de cette croix, de sentir le cœur du Christ palpiter dans les cœurs de ces victimes. J`ai eu la joie d`accompagner ces crucifiés dans leurs souffrances, dans leurs rêves, dans leur espoir. Jamais je n’ai été aussi heureux qu`à leur côtés. Ces esclaves modernes débordent d`humanité. Ils respirent de dignité. Les photos que vous avez devant vous expriment aussi magnifiquement cette dignité.Contemplez donc ces photos. Écoutez le cri des bateys. Et Aidez-nous à faire fleurir la croix des Bateys. Aidez-nous à détruire l`esclavage ! Aidez-nous à faire en sorte que le sucre n’ait plus cette saveur à sueur et à sang. »}Le vernissage de cette exposition qui a été aussi le coup d’envoi de la troisième édition du Festival International du Film Haïtien de Montréal fut accueilli par de nombreuses personnalités du monde artistique, culturel et politique dont le premier ministre canadien Stephen Harper.Pour la journaliste Nancy Roc, commissaire de l’exposition, ces photos sont la preuve tangible de l’esclavage contemporain dans lequel vivent les coupeurs de canne haïtiens en République Dominicaine. Elle interpelle notre conscience et notre responsabilité collective en tant que citoyens et citoyennes du monde. Elle en a profité pour lancer un appel pour un mouvement international sans précédant pour trouver une solution au drame des migrants haïtiens en République Dominicaine.Le premier ministre canadien a félicité les participants au festival, lequel pour lui traduit l’orgueil de la communauté haïtienne du Canada et offre une opportunité exceptionnelle aux canadiens de célébrer la diversité culturelle et connaître mieux la situation actuelle d Haïti.L’exposition se poursuit à Montréal jusqu’au 2 octobre 2007.
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