Kidnapping et Traite : les leçons du passé
{{{Traite de personnes et Kidnapping : pour une rupture avec le passé.}}}La rupture opérée par la Guerre de l’Indépendance a été une rupture politique. Elle n’a pas été suivie d’une redéfinition, d’une restructuration de la société, de sa culture, de la Nation, de l’Etat.Ni les personnes, ni les institutions ne se sont délivrées de la pratique de la violence. Cette violence qui court à travers nos 2 siècles de pays indépendant et qui ne peut qu’augmenter à travers la démographie et la destruction de la terre.On accusera la folie des dirigeants qui refusent de céder la place quand arrive la fin de leur mandat. Ex : les Duvalier qui se lancent pendant 29 ans sur les chemins d’un pouvoir sans limites basé sur la terreur.L’entrée en démocratie est toujours retardée pour des lendemains qui n’arrivent jamais. Que ce soit la violence d’Etat diffusée par des forces armées, des polices, par une justice qui ne peuvent que suivre des ordres, ou que ce soit comme nous le voyons depuis 20 ans, une violence qui se répand dans les rues et qui s’enracine dans de nombreux quartiers de la Mégapolis, profitant de l’affaissement de l’Etat, d’une complicité populiste, et de l’absence de toute institution capable d’incarner un projet valide de développement et de vie commune démocratique.Que ce soit encore la pauvreté qui devient misère et la misère qui devient misérabiliste, on peut invoquer tous ces facteurs pour essayer d’expliquer de facon raisonnable, la violence mais ce sont des explications qui ne vont pas au fond des choses, qui nous font tourner en rond. Il nous faut donc pénétrer, au-delà des slogans, au-delà des vocabulaires tout faits pour relier le présent à notre histoire.Où se trouve donc le feu qui alimente le volcan ? Où se trouve la tête de l’eau ? Un Anténor Firmin dans » {De l’Egalité des races humaines} », {Ainsi parla l’Oncle}, le Bouqui de nos contes et Jacques Roumain dans son récit métaphorique sur les maîtres de l’eau… Or, la fièvre de mort, de sadisme, de destruction est là parmi nous, elle est en nous. Et c’est pourquoi, en analysant le fléau du kidnapping, il nous faut nous interroger sur les haines que nous marinons dans notre propre conscience, sur les erreurs que nous commettons en voulant frapper l’autre, alors que c’est notre propre essence et existence que nous haïssons, notre propre image dans le miroir que nous détestons, des mirages, des hallucinations d’un passé mal connu, mal digéré, dominé par des fantasmes que le racisme du monde colonial a laissés dans notre imaginaire et qui amène la haine de soi, et la folie de puissance que donne une arme automatique conduisant aux tortures et à la mort subies par Jacques Roche, François Latour et tant d’autres enfants, jeunes filles et femmes de tous âges. La liste est longue mais elle doit être fermée. Elle sera fermée si nous ne nous trompons pas dans le choix du terrain de combat ou sur l’adversaire à identifier. On peut prendre conscience du piège dans lequel on s’engage quand on laisse un tel fléau se développer comme si c’était un fait divers normal dans toutes les sociétés. De façon très pertinente, on a montré que dans la panoplie des actes de terrorisme, le kidnapping, aidé de nos jours par l’invention des téléphones portables,s’attaque directement au fondement de l’entreprise sociale ; et il démolit, non pas seulement une, deux ou trois familles ; il détruit le lien social et la société tout entière ; il met en échec ce qui fait la nation : la volonté commune de vivre ensemble dans l’égalité et le respect des droits de chacun et des devoirs de chaque institution.{{Il s’agit donc d’un fléau mortel qui met en danger la vie et la survie de notre nation.}}Les arguments pour arrêter ce fléau ne manquent pas. Parmi tous ces arguments, celui-ci est fondamental : le péril qu’il représente pour la société elle-même, la capacité mortelle de désagrégation et de pourrissement qu’il véhicule.A cela s’ajoutent tous les arguments philosophiques que chacun de nous peut collecter selon ses choix et ses préférences et son type d’éducation et les différents systèmes de valeur qui nous aident à penser, à vivre, à construire et créer une société humaniste et humanisante.Il y a les arguments religieux avec le caractère sacré de la vie et de la personne ; il y a l’énorme courant des philosophies qui ont exalté la grandeur de l’être humain, ce que Pie XI a appelé l’éminente dignité de la personne humaine.Mais, pour ce qui nous regarde, qui nous relie en ligne droite à un passé qui a fait la grandeur de la nation haïtienne, je voudrais rappeler ici que la société haïtienne est née d’une revendication de l’égalité des êtres humains et de leur droit à la liberté dans une société qui avait nié et trahi ses valeurs, et mis sur pied un système antinomique, le système esclavagiste.Nous appartenons au contraire à une nation qui doit sa naissance à des milliers de combattants qui ont fait leur percée dans l’histoire de l’humanité en se mettant ensemble pour mettre fin à ce système esclavagiste basé sur le trafic des êtres humains. Ce trafic qui procurait des travailleurs pour la société de plantation, et la production des denrées pour le commerce mondial : le sucre, le café, l’indigo, les bois précieux, le coton ; ce trafic était lui-même un négoce établi sur un principe de base, devant lequel toute personne et toute institution devait se soumettre : {{l’esclave n’est pas une personne humaine et son travail est gratuit}}. Ce système s’est implanté sur la base de 20 à 25 millions d’êtres humains, d’enlèvements pratiqués chez des peuples qui vivaient de l’autre côté de l’océan, chez des peuples d’outre-mer, des Indiens d’abord, ensuite des Africains.Pour abolir l’esclavage, il fallait rompre avec ces principes, il fallait revenir aux sources de l’humanisme. Cela s’est fait à Saint-Domingue à partir de l’affirmation simple que tous les êtres humains sont égaux et que la race n’est qu’une affabulation, une de plus.Il est primordial de rappeler que le premier texte historique dans le monde qui a aboli l’esclavage, a été affiché dans la colonie de Saint-Domingue, en langue créole, et le contenu se relie directement au sujet qui nous occupe aujourd’hui: le kidnapping. C’ est un texte qui mérite d’être signalé, qui date du 29 août 1793, six mois avant le décret de la Convention. Nous avons d’ abord un premier texte qui sera affiché ce jour-là et dont je tire la formule, l’affirmation centrale : «{Tout nèg e milat ki esklav ankò, nou deklare yo tout lib, yo genyen menm dwa, yo tout sitwayen fransè} – (29 aout 1793)». (Tous les nègres et mulâtres encore esclaves, sont declarés libres, jouissent des mêmes Droits et sont citoyens français- ndlr) Le plus intéressant se trouve dans un autre document qui a été affiché le 3 juin 1796, presque trois ans après, et il disait ceci, écoutez bien : « {l’Assemblée Nationale qui est au-dessus de tous les rois du monde, a dit ce qu’elle a écrit et ce qu’elle veut, elle a dit vouloir que tous soient égaux, elle a dit encore vouloir que le travail soit rémunéré et elle a dit vouloir ni voir ni entendre dire que des gens qui vendent leur corps et que d’autres personnes soient capables de les acheter, parce qu’elle dit qu’une personne douée de parole, n’est pas un cheval ni un cochon dont on puisse vendre le corps comme dans un marché} ». Ce texte qui figure parmi les 24 textes que nous avions collectionnés de la Société de Saint-Domingue était en créole. Au fait, ce texte, le deuxième, est signé au Cap par le président de la Commission, an IV de la République, Sonthonax ; 3e proclamation de Sonthonax, 3 juin 1796. Sonthonax et son camarade Polvérel vont être immédiatement arrêtés malgré le fait qu’ils étaient des membres de la Commission mandatés par la Convention; arrêtés pour avoir fait cette déclaration. Ils sont enchaînés et mis dans un bateau. Arrivés en France, ils seront jugés, heureusement, ils ont eu de la chance, car la Terreur était passée.Il est donc insoutenable qu’un seul kidnapping existe sur la terre haÃtienne. Et c’est à partir de cette affirmation qu’il fallait monter une offensive contre le kidnapping. Il fallait que le président de la République le dise, il fallait que le ministre de la Justice le dise, il fallait que les gens de la MINUSTAH le disent, il fallait que le chef de la Police le dise.Il est donc inconcevable que les autorités continuent à en parler comme s’il s’agissait d’un simple fait divers comme un vol de patates ou de surettes à l’étalage d’une marchande au marché. Car, l’enlèvement suivi de réclamation et de négociation de rançon dénommé communément kidnapping, dans un pays qui doit sa naissance au sacrifice de douzaines de milliers de personnes, pour arrêter précisément un phénomène de kidnapping mondial, qui fait jusqu’aujourd’hui la honte des peuples qui s’en sont servi si longtemps… En nous adonnant au kidnapping, nous passons la barrière et nous passons dans le camp de ceux qui, pendant 4 siècles, ont nié à nos ancêtres la reconnaissance de leur condition humaine.Sur la base de messages que nous avions diffusés depuis un an, nous avions essayé d’ obtenir le premier résultat que nous cherchons, qui est la prise de conscience de la personne, pour chaque personne, ce que cela implique, un kidnapping, et ce que cela implique surtout de complices de kidnapping.C’est à partir de cette prise de conscience, qu’une personne peut aussi prendre conscience de tout l’amas de mensonges que le racisme a déposés dans notre conscience, avec quoi nous n’avons pas encore fait de rupture, parce que nous n’avons pas fait encore ce que je pourrais appeler une vraie société haïtienne indépendante, nous sommes toujours dans la queue de la société coloniale et nous ne maîtrisons pas notre destin. Nous n’avons pas encore élaboré la théorie de notre destin. Et c’est là, la cause de la crise de violence que vous rencontrez. D’où cette mer de sang, qui a coulé depuis l’Indépendance jusqu’à maintenant, mais surtout dans les vingt dernières années, du sadisme qui s’est exercé, sur nos familles, nos enfants, nos jeunes filles, nos intellectuels, nos commerçants, nos mères de famille.
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