
Des organisations de droits humains réclament des autorités haïtiennes une politique de délimitation territoriale
Dans un texte paru dans les colonnes de l’Hebdomadaire haïtien, Le Matin, du vendredi 29 juillet au lundi 1er août 2011, des organisations de défense et de promotion des droits humains dont le Groupe d’Appui aux Rapatriés et Réfugiés (GARR) et la Plateforme des Organisations Haïtiennes des Droits Humains (POHDH) plaident en faveur de l’aménagement du territoire national qui, selon elles, est une nécessité pour que tous les espaces du pays soient utilisés à bon escient dans le cadre de la reconstruction d’Haïti. « Il est impératif que l’Etat procède à des lotissements en vue d’entreprendre des projets de reconstruction susceptibles d’apporter une réponse aux problèmes de l’espace en Haïti. », déclarent les responsables de ces organisations.
Le séisme du 12 janvier a détruit plus de 300 000 maisons et fait plus d’un million et demi de sans-abri et de déplacés dans le pays. Les défenseurs des droits humains exhortent l’Etat haïtien à assurer un leadership dans le processus de reconstruction du pays. « Laisser les gens construire comme bon leur semble, c’est un déni des prescrits de la Constitution de 1987, dont l’article 22 établit que l’Etat reconnaît le droit de chaque Haïtien et Haïtienne à un logement décent. », affirment-ils.
Ci-joint l’intégralité du texte :
La délimitation du territoire pour mieux reconstruire
Dix-huit mois après la terrible tragédie du 12 janvier 2010, la question du logement devient de plus en plus préoccupante. Certes, plusieurs projets sont en cours d’élaboration ou d’exécution. Toujours est-il que la problématique du logement se trouve imbriquée dans celle de l’ménagement du territoire national.
La crise du logement en Haïti est un problème chronique, exacerbé par le tremblement de terre du 12 janvier 2010. Ce séisme dévastateur a détruit plus de 300 000 maisons et occasionné 1, 5 million de sans-abri et de déplacés dans le pays. De ce fait, les problèmes liés au logement et à l’aménagement du territoire se trouvent en quelque sorte imbriqués et deviennent un sujet préoccupant. Un an et demi après, le problème reste et demeure entier, et même tend à s’aggraver. Les classes dominantes du pays, les autorités compétentes et les institutions internationales paraissent bien indifférentes. Entre-temps, les conditions de vie dans les bidonvilles du pays ne cessent de se détériorer et l’on continue de plus belle à ériger des constructions anarchiques à la périphérie des principales villes du pays, sous le regard impuissant et complaisant des autorités étatiques.
Haïti, un espace très mal aménagé
La relation étroite entre l’aménagement du territoire et la décentralisation a été occultée au cours de ces trois dernières décennies, du fait de l’ajustement structurel qui a réduit les politiques à des objectifs à court terme. Le discours dominant est désormais celui de la décentralisation, devenue seule garante du développement et de la démocratie, la logique de ce processus s’opposant alors aux principes de l’aménagement du territoire des années 50 à 70. D’une part, une croyance dans l’efficacité économique et sociale de la proximité, une conception ascendante du développement et une logique de subsidiarité comme moteurs de l’organisation institutionnelle. De l’autre, une vision unilatérale des politiques territoriales, menées par un État centralisé et garant de l’équité. Aujourd’hui plus que jamais, la délimitation et l’aménagement du territoire s’imposent. Et l’on devrait bien en tenir compte avant la mise en branle définitive de la reconstruction du pays.
Avant le tremblement de terre, l’Entreprise publique de promotion des logements sociaux (EPPLS) estimait à près d’un million d’unités le déficit de logements dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince. Le tremblement de terre a entraîné un exode massif de la population vers les milieux ruraux du pays. C’était alors une opportunité pour les autorités de mettre sur pied les projets d’aménagement territorial. Faute d’une vision collective, ce projet, malgré les multiples congrès réalisés par le ministère de l’Intérieur et des Collectivités territoriales, n’a toujours pas encore vu le jour. Des espaces propres à l’agriculture sont utilisés pour la construction de logements. De ce fait, au lieu de construire des villes, et en l’absence d’un apport de l’État central et des mairies, la population a transformé ces espaces en de vrais bidonvilles. D’ailleurs, en moins d’une décennie, la population urbaine est passée de 25 % à 48 %.
Les villes haïtiennes se construisent sur des espaces exigus. Quatre-vingt pour cent de la population de Port-au-Prince vit sur 20 % du territoire de la ville. Selon plus d’un, cette situation est la résultante d’une mauvaise gestion de l’espace physique haïtien. Plusieurs organisations de défense des droits humains, dont le Groupe d’appui aux rapatriés et aux réfugiés (GARR), ont exigé de l’État une politique de délimitation territoriale afin que nos espaces puissent être utilisés à bon escient. En fait, il est impératif, disent-ils, que l’État procède à des lotissements en vue d’entreprendre des projets de construction susceptibles d’apporter une réponse aux problèmes de l’espace en Haïti.
Les crises des villes sont le plus souvent associées à une croissance urbaine rapide et incontrôlée. Cela, dit-on, engendre des problèmes tels la rupture et l’inadéquation des services et infrastructures, l’aggravation des inégalités sociales, l’augmentation de l’informalité du secteur économique et la dégradation de l’environnement. La question du logement en Haïti est d’ordre structurel. Les gens ont construit leur propre communauté sans avoir les ressources financières et techniques nécessaires pour bien y parvenir. Selon les responsables de POHDH, la problématique du logement en Haïti se présente comme une grave violation des droits de la personne, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels. C’est aussi un déni des prescrits de la Constitution de 1987, dont l’article 22 établit que l’État reconnaît le droit de chaque Haïtien et Haïtienne à un logement décent.
Perspectives de construction de logements dans le pays
En prélude à la reconstruction du centre-ville de Port-au-Prince, plusieurs projets de construction de maisons sont prévus. À cet effet, la première phase d’un projet de construction de logements sociaux du programme Soutien au plan d’intervention dans le secteur de l’habitat (SPISH) est déjà lancée. Mis en œuvre par le ministère des Finances, ce projet qui sera exécuté à travers le Fonds d’assistance économique et social (FAES), consiste à construire durant les cent prochains jours 400 maisons sur le site de Zoranje, situé au village Renaissance, non loin de Cité Soleil, dans la commune de Croix-des-Bouquets. Parallèlement, à l’initiative du ministère du Tourisme, une soixantaine de modèles de maisons ont été présentés par les différentes firmes de construction devant participer à ce projet.
Ce programme a été négocié en novembre dernier entre l’État haïtien et la Banque interaméricaine de développement (BID). À en croire les responsables, le but de ce programme de logements est d’apporter une réponse urgente à la problématique des déplacés et d’améliorer la qualité de vie des familles à faibles revenus. Il devrait contribuer à apporter une réponse plus ou moins pragmatique au besoin de la population. Ce projet vise, entre autres, à construire 2 000 unités de logements qui seront réparties dans les départements de l’Ouest (Zoranje), du Nord-Est, notamment à Caracol, et du Sud. Durant cette première phase dite « 400 % », environ 400 logements seront construits sur une superficie de 6, 8 ha. « Les maisons construites auront une superficie de 35 m2 et seront implantées sur une parcelle de 108 m2 par unité de logement.
Par ailleurs, l’État haïtien, par l’entremise de la Banque nationale de crédit (BNC) et de la Banque populaire haïtienne (BPH), a lancé récemment le projet « Kay pa m ». Tout comme le projet 400 %, « Kay pa m » vise à faciliter l’accès à la propriété privée, la reconstruction et la réparation d’immeubles résidentiels, et à permettre à plus d’Haïtiens d’avoir accès à un logement. Il est ouvert à tous les fonctionnaires de l’État et à tous ceux du secteur privé. Il s’adresse également à toute personne physique ne figurant pas sur la liste des mauvais débiteurs du système bancaire. Entre autres, le débiteur doit se situer dans la tranche d’âge « 18 et 65 ans », avoir au moins trois ans de service dans l’administration publique ou privée, et exercer une profession libérale stable depuis trois ans.
Jusqu’à présent, le prêt immobilier était moribond en Haïti. Plusieurs spécialistes de l’économie voient dans cette perspective une révolution. Selon Kesner Pharel, la décentralisation nécessite la création d’opportunités dans d’autres régions d’Haïti. Et parce que Kay pa m est ouvert aux Haïtiens de tous les recoins du pays, il constitue en quelque sorte la matérialisation de la décentralisation tant prônée par les autorités. Plusieurs organismes de défense des droits humains ont salué cette initiative qu’ils jugent louable. Ils recommandent, par ailleurs, aux autorités de renforcer cette structure afin qu’elle soit accessible à tous les fils du pays, car avoir accès à un logement décent est l’un des droits fondamentaux de tout peuple.
Ce programme de prêts prend en considération le niveau de revenu et la capacité de remboursement sur une longue période. Les débiteurs auront l’opportunité de contracter des prêts pour la réparation de maisons de résidence détruites par le séisme, l’agrandissement ou la réhabilitation de logements existants et l’acquisition et la construction de nouvelles maisons.
Port-au-Prince est la commune du pays la plus éprouvée par le séisme du 12 janvier 2010. Plusieurs quartiers ont été touchés en profondeur. Le Conseil d’administration de la commune veut entreprendre un vaste programme de reconstruction afin de venir en aide à une frange importante de la population. Pour ce faire, il entend réhabiliter le quartier de Carrefour-Feuilles. Un projet de 510 millions de dollars américains a été élaboré en ce sens. Il devra permettre la construction de 14 500 appartements et fournir à 72 500 familles un logement décent de 45 mètres carrés.
Tout compte fait, plusieurs projets de construction de logements sont en cours d’élaboration. Cela devait servir à donner une autre image du pays sur le plan environnemental et esthétique. Mais, à l’exception de celui de la mairie de Port-au-Prince, ces projets ne mettent pas l’accent sur les constructions collectives. De ce fait, les gens ont la latitude de construire ou de reconstruire où et comme bon leur semble. Espérons que ces futurs logements serviront à éradiquer définitivement cette pratique de constructions anarchiques dans le pays. Car plus d’un croit que les autorités sont en train de financer l’implantation de nouveaux bidonvilles dans le pays.
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