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U.S. State Department, Public Domain

Documents d’archives : Les confidences de Sonia Pierre

Entrevue par Robert Bénodin

20 avril 2007

Nous avons avec nous, sur les ondes de Radio Classique inter, Madame Sonia Pierre récipiendaire du Prix d’Amnesty International en 2003, du Prix Robert Kennedy en 2006, Haitian Women à Miami, Prix Claire Heureuse et fondatrice du Mouvement de Femme Dominico-Haïtienne.

Sonia Pierre, nous vous souhaitons la bienvenue sur les ondes de Radio Classique Inter.

Robert Bénodin : Madame Sonia Pierre où êtes-vous née ?

Sonia Pierre : Je suis née ici en Dominicanie, dans le batey d’une ancienne usine sucrière appelée Catarey au nord du pays.

Vous avez passé votre enfance dans les bateys. Où avez-vous été à l’école ?

Ma mère est venue ici depuis 1951. Elle a eu 10 enfants sur cette terre. Je suis la cinquième parmi les enfants qui sont nés ici. Quand nos étions enfants, il n’y avait pas d’école dans ce batey. Il y avait une dominicaine qui venait chaque jour dans le batey venant d’une communauté dominicaine qui se trouvait par derrière le batey pour donner des leçons aux enfants qui s’y trouvaient.

Un jour elle a demandé, s’il y avait une école pour tous ces enfants qui vivent dans le batey. On lui a répondu, non. Et c’est ainsi qu’elle s’est mise d’accord avec nos parents pour nous donner des leçons, 2 fois par semaine. Ma première école a été sous un grand arbre qui se trouvait dans le batey.

Pouvez-vous nous décrire, un peu, la vie dans les bateys ?

Cela dépend du batey. Il y a deux types de bateys. Les bateys qui sont près du milieu urbain, et ceux qui sont très éloignés dans le milieu rural. Tant que les bateys sont plus éloignés du milieu urbain, tant que les conditions de vie sont plus dures. Ces bateys n’ont pas d’électricité. Il y a des tas de choses qu’ils n’ont pas, tel que : eau, électricité, école. Quant aux soins de santé, ça n’existe pas. Dans tous les bateys, il n’y a pas de centre de santé. S’il y a un centre de santé, ce sont les ONG qui travaillent dans les bateys qui mettent ces centres de consultation qu’utilisent les médecins qui viennent visiter la communauté.

La vie dans les bateys n’est pas facile. Cela dépend. Si on y fait la coupe de canne, on commence à réveiller les gens vers les 4 heures du matin. S’ils vont à un endroit très éloigné, ils sont mis dans un wagon utilisé pour le transport de la canne à sucre, tiré par un tracteur, mais qui n’est pas construit pour le transport humain. Il y a beaucoup d’accidents. Et quand ces accidents arrivent, il y a beaucoup de morts et de blessés. Il y a aussi beaucoup qui deviennent infirmes.

Ils retournent des champs vers 5 ou 6 heures de l’après-midi. C’est à ce moment là qu’ils vont chercher à cuire à manger. Après avoir fini de manger vers 8 ou 9 heures du soir, ils sont tellement fatigués, que certains d’entre eux tombent en sommeil à l’instant et à l’endroit même où ils ont fini de manger. Et à 4 heures du matin, on les réveille à nouveau pour qu’ils puissent recommencer à travailler.

En général la vie dans les bateys est très dure. Il y a dans certains bateys des maisons de borlette. Ces maisons appartiennent aux chefs du batey. Ils ont aussi des bars dans les bateys. Une façon pour soutirer une portion substantielle des salaires de ces travailleurs. La majorité des braseros gagne entre 3 à 5 milles pesos. Ils ne peuvent pas faire mieux, les salaires ne sont pas très bons. Il y a toujours la présence des maisons de jeux de hasard qui appartiennent aux propriétaires de bateys. Le samedi et le dimanche, quand ils ont un peu de temps, ils vont dans ces maisons de jeux de hasard où ils perdent l’argent qu’ils ont gagné au cours de la semaine.

Les enfants, parce qu’il n’y a pas d’école dans la majorité des bateys, suivent leurs parents pour aller faire les lots de canne coupées par leurs parents. Des fois, ils font d’autres activités dans les champs de canne avec leurs parents.

A quel âge avez-vous quitté les bateys ? Qu’est-ce qui vous a porté à quitter les bateys ?

J’ai laissé le batey à 18 ans. Pendant plus de deux ans, notre école a continué à fonctionner sous ce grand arbre. A la diligence du professeur, on avait fini par lui donner une chambre pour héberger les enfants. On empruntait des chaises de chez nous pour meubler l’école. Ceci a évolué au point où l’on a appointé un professeur. Cela est arrivé après plusieurs années. Quand on a appointé ce professeur, je n’étais plus à cette école. J’étais déjà transférée dans la ville de Via Altagracia, pour continuer à aller à l’école.

Après ma 18ème année, je participais au mouvement des étudiants à Via Altagracia, c’est ainsi que j’ai trouvé une bourse d’études pour Cuba.

Vous avez été à Cuba ?

Oui

Combien de temps avez-vous passé à Cuba ?

J’y ai passé 4 ans.

C’est à Cuba que vous avez étudié ?

Oui, à l’Université de la Havane

Qu’est-ce que vous avez étudié ?

Le travail social.

Qu’est-ce qui vous a porté à quitter le batey ? Est-ce parce que vous étiez devenue trop âgée ?

J’ai quitté le batey parce que j’ai commencé à participer dans des organisations de travailleurs. Nous étions les interprètes de ceux qui entreprenaient la première grève du batey où je suis née. C’était une grève de travailleurs pour améliorer leurs conditions de travail et de vie. A ce moment là, j’avais à peu près 13 à 14 ans, je leurs servais d’interprète et on a été arrêté. Ça a été un moment difficile de ma vie. Cela m’a amenée à participer dans des mouvements au lycée où j’étudiais. Je commençais à être consciente et à m’inquiéter de l’arrivée des embauchés qui venaient chaque année. J’étais préoccupée surtout par les conditions des femmes et des enfants qui arrivaient avec ces embauchés. La façon dont on les divisait. Ceux qui venaient d’arriver on les appelait « Congo ». Cette dénomination avait une connotation péjorative d’ignorant. Ceux qui avaient plus d’années on les mettait autre part. C’était une façon de les diviser, même quand les conditions étaient les mêmes pour tous. C’est ainsi que je me suis initiée dans ces organisations, parce que j’éprouvais de l’inquiétude.

Après mon retour de Cuba, je me suis intégrée à fond dans le travail avec la communauté haïtienne.

Entre le temps où vous avez quitté les bateys et le moment où vous avez fondé l’Organisation Mouvement des Femmes Dominico-Haitiennes. Combien de temps s’est écoulé ?

Le Mouvement de la Femme Dominico-Haitienne est sorti d’un effort de quelques réfugiés de ce camp là qui avait commencé ici. Ça a commencé avec un homme qui s’appelait Patrick André. Il est décédé. C’était un Haïtien venu en exil ici. L’organisation s’appelait IFOPADA.

Vous avez fondé cette organisation en 1983, ça fait à peu près 24 ans. Qu’est-ce qui vous a porté à créer cette organisation ? Comment l’organisation a-t-elle commencé ?

Le Mouvement de la Femme Dominico-Haïtienne, c’est d’abord une organisation de femmes, mais qui inclut tout le monde. Depuis des années, nous avions commencé un travail intégral. Parce que nous croyons que pour changer la réalité des bateys, il faut que nous tous nous participions, les femmes, aussi bien que les hommes.

C’était la situation dans laquelle les femmes vivaient, tenant compte du fait que la vie des travailleurs dans les bateys, était très dure. La situation des femmes était encore plus dure que celle des hommes, parce qu’elles n’avaient aucune participation, aucune assistance que les hommes recevaient. Si les hommes étaient malades, ils pouvaient aller à l’hôpital. Les femmes et les enfants n’avaient pas accès à cette assurance, ou bien à une chambre « balecon ». C’était une grande maison divisée en plusieurs petites chambres. Les femmes si elles n’avaient pas de mari pour les représenter, elles ne pouvaient pas avoir accès à une chambre dans ces maisons. Ces choses me préoccupaient beaucoup. Quand ces dames arrivaient, on les sélectionnait, pour les envoyer travailler dans les bordels. Si elles étaient jeunes, on les mettait dans un endroit où les chefs venaient les visiter. Après un certain temps, on les introduisait dans les bordels. D’autres Haïtiens qui vivaient déjà dans le pays les exploitaient sexuellement, alors qu’elles continuaient à fournir le service sexuel dans les bordels. C’est une situation difficile. C’est ainsi que nous avons commencé avec cette organisation des dames. Nous avons commencé à travailler avec ces dames et les enfants des dames qui sont nés dans les bateys. Nous avons commencé un travail de visibilité de la situation que ces dames subissaient, en cherchant comment on pouvait changer cette réalité.

C’est ce qui vous a porté à créer cette organisation. Comment l’organisation a-t-elle évolué ?

Quels sont les moments les plus difficiles que vous avez connus dans le cadre de son évolution et dans le cadre de votre vie en Dominicanie ?

C’est la première organisation de femme dans les bateys. Là où nous avons commencé à traiter les problèmes des femmes, en tant qu’humain, où nous avions commencé à faire un travail pour mettre en exergue la situation des femmes dans les bateys. Nous avons commencé un travail interne de développement personnel. Nous avons entrepris un travail de formation des dames. En même temps nous faisions un travail de formation d’organisation. Nous faisions aussi la formation d’activistes et nous leur apprenions comment réaliser des produits artisanaux et comment commercialiser ces produits. Nous avions aussi commencé un programme de santé parce que les femmes n’avaient pas accès aux services de santé. C’était un travail de santé traditionnel, où elles étaient vraiment habiles. C’était le travail que leurs grandes mères faisaient dans le passé. Nous mettions en usage leurs connaissances botaniques traditionnelles, la vertu des feuilles pour produire des médicaments. C’était en réalité le développement d’une médecine alternative.

L’organisation s’est élargie. On a formé un centre culturel dominico-haïtien. Ce travail a eu tellement de succès que l’on a commencé dans les bateys à former des unités de base. Ensuite on a commencé à établir des écoles pour les enfants qui ne pouvaient pas avoir accès aux écoles de l’Etat. On a commencé à faire le travail de revendication auprès du gouvernement, en même temps que nous faisions des propositions pour chercher des solutions pour résoudre nos problèmes.

Vingt ans plus tôt, on n’avait pas la situation que nous vivons aujourd’hui. Nos voix n’étaient pas entendues en dehors des bateys. C’est après avoir participé dans des conférences que nous avons commencé à faire des demandes concrètes. Les gens dans les bateys ont commencé à articuler leurs revendications, à discuter de leurs problèmes. Et c’est ainsi que l’on a commencé à prêter attention à ce qui se passait au sein des bateys. Ce n’est pas le seul problème, ce qui se passe en terme de discrimination raciale contre cette communauté. L’anti-haïtianisme existe dans cette société. La situation de xénophobie prend une ampleur alarmante. En 2005, il y a eu beaucoup de personnes qui ont été assassinées. Parmi eux, il y a 5 personnes qui ont été brûlées vif. Jusqu’à présent aucun effort n’a été fait par les autorités pour identifier qui ont commis ces crimes. Il n’y a jamais eu d’investigation pour vraiment trouver les coupables.

Aujourd’hui, nous avons un rapport qui est publié chaque année sur cette situation. La discrimination est en train d’augmenter. La situation socio-économique d’Haïti oblige plus de personnes à venir en Dominicanie. Maintenant, il y a toute une campagne que les Dominicains sont en train de faire, qui veut faire croire qu’il y a une invasion pacifique du pays par les Haïtiens.

Compte tenu du travail que nous avons fait pour exprimer notre désaccord avec les conditions d’accueil, nous ne sommes pas d’accord non plus que des Haïtiens soient employés dans les travaux de construction d’hôtel dans tout le pays pour le développement du tourisme n’importe comment. Parfois, quand ces travailleurs viennent pour recevoir leur salaire, les officiers d’immigration les arrêtent pour les déporter vers Haïti sans qu’ils n’aient eu le temps de le recevoir. Il y a une série d’abus qui se font ainsi. Nous disons clairement que nous ne sommes pas d’accord avec ces abus. C’est ainsi que les problèmes ont commencé à devenir plus visibles. Quand des personnes sont en train d’exiger l’amélioration de la situation dans les bateys. Le gouvernement préfère déporter ces gens pour faire entrer d’autres pour travailler. Ceux qui ont plusieurs années de travail et qui ont vieilli, ils ne peuvent plus produire comme ils l’ont fait durant leurs années de jeunesse. Ils sont en train de déporter vers Haïti des gens qui ont des problèmes d’infirmité ou d’incapacité, dû aux effets de l’âge ou d’accident. Ce sont toutes ces protestations qui font qu’il y a aujourd’hui des gens qui disent que nous sommes l’ennemi du pays ; que nous sommes en train de monter une campagne internationale contre la République Dominicaine ; qu’il y a un plan dans lequel nous participons pour l’unification de l’île. Une série de chose sans logique, mais auxquelles des gens du peuple dominicain y croient.

C’est ainsi que l’on a commencé une investigation sur le dossier de mon acte de naissance. Ils ont fait un rapport pour demander l’annulation de ma nationalité dominicaine, pour me chasser du pays.

Il me faut dire que depuis 3 ans (2004), le gouvernement a déclaré qu’il y a 3 personnes qui doivent sortir du pays. C’est le père Ruquoy, un prêtre belge qui a passé 25 ans dans le pays travaillant dans les bateys, le père Christopher, un prêtre anglais qui a fait un grand travail dans la zone « Vicini ». Dans cette zone, il y a une famille espagnole qui possède plusieurs usines où travaillent des Haïtiens. Ces deux étrangers ont été chassés du pays. Il ne reste que moi. Mais pour me chasser, ils ne peuvent pas ordonner qu’une personne qui a la nationalité dominicaine soit obligée de laisser le pays. Il leur a fallu inventer que mes documents de naissance sont faux. C’est ce qu’ils sont en train d’utiliser en ce moment, pour m’enlever la nationalité et m’expulser du pays.

Jean Michel Caroit vient de publier un article décrivant le climat de peur chez les Haïtiens vivant en Dominicanie. Sans aucun doute vous êtes aussi victime de cette peur. Pouvez-vous nous décrire ce que vous avez subi ?

Je dois dire qu’il y a une situation difficile ici. Nous venons d’obtenir une décision légale de la Cour Interaméricaine. Il me faut dire aussi que nous sommes allés par-devant la Cour Interaméricaine en deux occasions. Le premier cas que nous avons présenté par-devant la Cour, c’est celui de deux enfants des deuxième et troisième générations nés dans ce pays, à qui le gouvernement a nié leur droit à la nationalité. Ce qui veut dire le refus de leur donner un acte de naissance. Ne pas avoir un acte de naissance ici veut dire que l’on ne peut pas aller à l’école, avoir accès aux soins de santé. Et comme adulte on ne peut participer ni dans la vie civile ni dans la vie politique. Cela veut dire qu’on se trouve dans une situation de mort civile. On n’existe pas. C’est le plus grand problème que nous affrontons comme communauté. C’est l’exclusion totale. On sait que l’éducation, c’est la base du développement de l’individu et de la collectivité. Ne pas pouvoir aller à l’école, signifie qu’on ne pourra pas se développer, qu’on ne pourra pas évoluer comme communauté. Nos parents ont été des coupeurs de canne. Nous sommes condamnés à demeurer des coupeurs de canne ainsi que nos générations à venir. Voilà ce que veulent les exploiteurs de la main-d’œuvre haïtienne.

Il y a eu un grand effort qui a été fait pour réclamer la nationalité. On est en train d’aller à l’école. Dans la communauté haïtiano-dominicaine vous trouvez aujourd’hui des avocats, des médecins, des professionnels dans toutes les branches de l’éducation. Chaque jour apporte plus de professeurs haïtiens, enfants d’Haïtiens nés dans le pays, qui travaillent dans les écoles. Ça signifie qu’il y a une communauté qui est en train d’avancer. Depuis quinze ans, ils sont en train de prendre des mesures pour ne pas donner aux enfants d’Haïtiens nés ici l’acte de naissance. C’est ainsi que nous avons un cas par-devant la Cour Internationale. Ce procès a traîné 8 ans dans les tribunaux, avant de gagner la bataille par-devant cette Cour Internationale. Cette bataille n’a pas seulement été bénéfique aux deux enfants, la Cour Internationale a ordonné au gouvernement dominicain de régulariser les actes de naissance de tous les enfants qui se trouvent dans les mêmes conditions, d’ouvrir les portes des écoles à tous ces enfants, et que cela ne se renouvelle plus. La Cour a demandé au gouvernement dominicain de publier sa décision dans un journal de circulation nationale pour informer les parents des enfants de la mesure adoptée en leur faveur. Que des réformes légales soient faites pour permettre aux parents d’inscrire leurs enfants à l’école. Un autre paragraphe déclare que la condition des parents ne peut pas déterminer la nationalité des enfants. Si les parents n’ont pas de document, les enfants nés dans le pays ne peuvent pas eux-mêmes être privés de document.

Quand cette décision a été prononcée, il y a eu toute un tollé, nous accusant d’avoir amené le pays par-devant une Cour Internationale. Que nous avons un plan pour jeter sur la République dominicaine tout le poids des problèmes d’Haïti, un pays qui n’est pas viable, un narco-état. Ceci a créé une grande confusion dans l’esprit du peuple dominicain. Ceci nous a obligé d’entamer une campagne d’explication concernant d’abord le fait qu’il y ait eu un procès interne qui a eu lieu et ce n’est qu’après qu’on soit allé à la Cour Interaméricaine, cour régionale à laquelle tous les Dominicains ont accès.

Où se trouve ce tribunal ?

Il fonctionne à Costa Rica. C’est la Cour Interaméricaine des Droits Humains.

Nous avons soumis un deuxième cas par-devant ce tribunal. Le cas d’expulsion massive, séparation de familles et violence contre les Haïtiens qui sont expulsés vers Haïti.

Nous avons dans un premier temps remporté une victoire. Ça a fait réagir un secteur de ce pays. Ce secteur a fait comprendre au gouvernement que ces décisions violaient la souveraineté du pays.

C’est l’accumulation de toutes ces protestations et de décisions légales en notre faveur, qui placent le gouvernement face à Sonia Pierre. C’est le moment où le gouvernement a commencé à attaquer ma nationalité. Dernièrement, il y avait une exposition de photo de cent femmes les plus marquantes de la société dominicaine. Nous faisions partie de ce groupe de femmes dominicaines qui ont fait leurs apports. Une campagne du gouvernement a porté des gens à déchirer la photo et ma biographie. Il y a eu des protestations contre cet acte. On a replacé la photo. On a ensuite fait disparaître la photo, en mettant fin à l’exposition.

C’est ainsi qu’une campagne s’est intensifiée contre nous, disant que nous complotons avec le Canada, les Etats-Unis et la France pour dénigrer la République dominicaine.

Plusieurs organisations vous ont décerné des prix pour manifester leur appréciation des œuvres humanitaires que vous avez entreprises. Pouvez-vous nous parler de ces prix et de vos impressions ?

Nous avons reçu plusieurs prix et manifestations de reconnaissance aussi. Parmi ces prix il y a ceux qui ont pour moi de grande signification personnelle. Des prix que la communauté haïtienne ici nous a décernés. Des écoles d’enfants qui ont été établies avec beaucoup de sacrifices. Des écoles d’éducation intégrale, établies avec beaucoup de sacrifices. Le premier prix que j’ai reçu vient d’une école appelée « Ecole Anaica ». Des enfants des 3 à 7 ans qui m’ont donné ma première plaque. Après ça, plusieurs organisations qui travaillent dans les bateys nous ont donné des prix. En 2003, j’ai reçu le prix d’Amnesty International pour le travail que nous avons fait avec des femmes et des enfants. Il y a eu après une organisation dominicaine à New York qui nous a donné un prix. La communauté haïtienne de New York qui nous a donné un prix. En 2006, j’ai reçu le prix de droits humains de la Fondation Robert Kennedy. Dans toutes nos tribulations, la Fondation Kennedy nous a beaucoup aidés. Cette Fondation nous a donné beaucoup de support. Dans la situation où nous sommes aujourd’hui, elle a fait beaucoup d’appel téléphonique, beaucoup de pression. Particulièrement Ethel Kennedy qui a passé une journée au téléphone après qu’elle a appris que l’on voulait annuler mon acte de naissance, pour empêcher que cela se fasse. On a publié immédiatement une déclaration pour faire savoir la position des organisations de droits humains concernant ce sujet.

Vous avez reçu aussi un prix de Miami d’une organisation de femme haïtienne ?

Oui, c’est le prix Claire Heureuse que j’ai reçu de madame Bastien qui fait un grand travail avec la communauté. Il y avait aussi Fanm Vanyan à Miami aussi

De tous les prix que vous avez reçus, lequel préférez-vous le plus ?

Celui qui m’a le plus émotionné, c’est celui que j’ai reçu des enfants. C’est l’aspect sentimental. Parmi les autres prix que j’ai reçu pour les travaux fourmis dans le domaine des droits humains, et qui a fait connaître et mis en exergue la valeur de mon travail, c’est définitivement le prix de la Fondation de Robert Kennedy.

Etes-vous candidate pour le prix John Humphrey de la liberté au Canada ?

Oui. On m’a présenté comme candidate pour ce prix. Il y a d’autres personnes qui sont en train de penser à me proposer pour un prix encore plus important, celui du prix Nobel de la Paix.

Quelle est l’équipe qui est en train d’entreprendre le support de cette candidature ?

Il y a plusieurs qui y participent. Ils le font. Mais je ne crois pas que je sois prête pour un tel prix. Il y a des gens qui disent oui. Ils font la proposition à la Fondation Robert Kennedy. La participation à la candidature, même si on n’arriverait pas à avoir le prix, la participation par elle-même suffit pour me donner une immunité. Ceci obligerait le gouvernement à prendre des mesures de sécurité pour empêcher que quoique ce soit, arrive à moi et à ma famille. Il me faut dire qu’il y a beaucoup de menace qui se répètent chaque jour.

Depuis 2001, le gouvernement devait nous donner la garantie de protection. La résolution de la Cour Internationale l’a mentionnée. Au moment où nous participions à l’audition à Costa Rica, le gouvernement dominicain nous menaçait. Le gouvernement dominicain n’a jamais obéi à cette injonction. Nous avons connu beaucoup de tribulation. Au point où en 2005 nous avons dû laisser le pays avec nos enfants pour aller ailleurs, parce qu’il y avait beaucoup de menace que l’on proférait contre mes enfants. En tant qu’adulte je pouvais me donner une certaine sécurité. Mais mes enfants qui vont à l’école, ne pouvaient pas. Nous avons demandé au gouvernement de nous donner une certaine assurance de protection. Jusqu’à présent il n’a pas encore répondu. Des gens m’ont suggéré de ne pas prendre un militaire dominicain que le gouvernement m’avait donné pour assurer la sécurité. Ceci ne constitue pas une garantie. Je suis obligé d’embaucher quelqu’un pour ma sécurité. Il y a trop de menace. C’est arrivé à un point où nous n’avons pas la certitude d’avoir une vraie sécurité.

Après 43 ans, les autorités dominicaines veulent vous enlever votre citoyenneté dominicaine. Pouvez-vous nous dire pourquoi ? Quelles sont vos réactions face à cet abus ?

Nous croyons que le travail que nous sommes en train de faire est très critique. C’est une façon de nous fermer la bouche. Parce qu’il y a une série d’appuis que nous avons trouvés, chez beaucoup de dominicains. Ce n’est pas venu du secteur nationaliste bien sur. C’est venu du peuple dominicain. C’est le secteur des artistes, tel que Johny Ventura, des grands journalistes, plusieurs autres artistes et des organisations dominicaines qui nous donnent leurs appuis. Ce que le gouvernement commence à faire c’est la propagande que je suis l’ennemie de la République dominicaine. Que je vais à travers le monde dire que le peuple dominicain haït les Haïtiens. Il y a une autre ambiance qui se profile. Des gens qui commencent à me percevoir comme un ennemi, faisant des attentats contre l’avenir des forces dominicaines. Que je demande aux touristes de ne plus venir au pays. L’industrie la plus importante en Dominicanie c’est le tourisme.

De même que la canne à sucre, il y a longtemps de cela, c’était le produit principal du pays, le tourisme aujourd’hui, est devenu le produit principal. Le gouvernement sait que s’il fait une campagne contre moi en ces termes, il peut réussir. A ce moment là, ce ne sont pas seulement les Dominicains qui me rejetteront, mais aussi les Haïtiens qui viennent pour chercher de l’emploi ici. Le gouvernement leurs fait croire que je n’ai aucun problème pour aller vivre ailleurs. Le gouvernement utilise des Haïtiens pour dire que je représente un danger pour les Haïtiens. Que les Haïtiens devraient avoir une certaine reconnaissance envers le gouvernement dominicain qui les accueille chez lui pour leurs donner du travail. C’est à cette situation que nous sommes en train de faire face ici. Nous sommes obligé d’assumer que cette propagande peut convaincre certains Dominicains et peut ne pas convaincre d’autres. Ceci nous a obligés de bâtir tout un programme pour expliquer qu’il ne s’agit que d’un problème politique. Que la situation que les pauvres haïtiens sont en train de vivre dans les bateys, c’est exactement ce que les pauvres dominicains sont aussi en train de vivre. Mais avec la différence que le droit de l’Haïtien n’est pas reconnu.

L’enfant né de parents haïtiens n’est pas reconnu comme citoyen du pays. Mais qu’il y a d’autres immigrants qui ont des enfants qui sont nés ici qui ne sont pas confrontés à ce genre de problème. C’est sur ça que nous nous appuyons pour dire qu’il y a un problème de discrimination. Parce que si un groupe bénéficie de l’acceptation, tous les autres devraient en bénéficier. La loi ne peut pas être appliquée au profit d’un groupe en particulier. Nous devons tous être égaux devant la loi. Si le Cubain, le Colombien, l’Européen arrivent sans aucun papier, ils a un enfant qui naît en Dominicanie, il est automatiquement Dominicain. Pourquoi l’enfant haïtien né en Dominicanie, dont les parents sont venus avec un contrat de travail, on veut lui nier tous les droits. Ceci n’est pas juste.

Il nous faut commencer à élaborer un plan pour démentir l’ambiance que le gouvernement et le secteur nationaliste sont en train de créer en face de notre travail de défense de droits humains.

Après que j’ai reçu le prix de la Fondation de Robert Kennedy, le chancelier de la Dominicanie a envoyé une lettre, pour reprocher au comité de la Fondation de m’avoir décerné ce prix de défense de droits humains, de leur avoir menti aveuglément. Que je n’ai jamais été un défenseur de droits humains, parce je défendais les droits des haïtiens, ce qui est différent de la défense des droits humains. Je ne suis qu’un défenseur de droits des Haïtiens. C’est ce que le chancelier dominicain a voulu faire croire à madame Kennedy à mon sujet. Ce chancelier est l’un de mes principaux calomniateurs qui disent que je mène une campagne au niveau international. Nous sommes en train de faire des efforts pour faire comprendre au peuple dominicain de quoi il s’agit. En tant qu’organisation et en tant que citoyen nous n’avons aucune campagne que nous sommes en train de mener contre le pays. Mais qu’il y a une situation où le gouvernement dominicain a pour devoir, comme Etat, et un Etat démocratique, de respecter les conventions internationales qu’il a signées. C’est dans cette ligne que nous nous lançons maintenant. Ce ne sera pas facile, parce que nous n’avons pas la force médiatique que le secteur du pouvoir contrôle. Il nous faut démonter toutes leurs propagandes. Il y a cependant des médias qui nous sont ouverts pour que nous puissions parler. Nous avons déjà commencé. Ce n’est pas facile parce que je n’ai pas beaucoup de temps. Ma santé n’est pas bonne, je viens de subir une opération cardiaque. Et nous sommes en train maintenant de subir beaucoup de pression de ce secteur.

La Fondation Robert Kennedy a qui le chancelier dominicain a écrit cette lettre disant que vous n’êtes pas en train de défendre les droits humains, mais seulement les droits haïtiens. Quelle a été la réaction de madame Kennedy à cette lettre ?

Je dois vous dire que madame Kennedy est une grande dame. Après mon opération, elle m’a invité chez elle. J’y ai passé une vingtaine de jours pour ma récupération post-opératoire. Pendant que j’étais chez elle, j’ai été ré-internée à cause d’une broncho-pneumonie. Elle m’a donné beaucoup d’appui. C’est là que j’ai constaté que madame Kennedy a une compréhension totale de la situation.

Madame Kennedy avait répondu au chancelier, que l’attitude qu’il a eue dans sa lettre, premièrement est un manque de respect à la décision du tribunal qui s’était prononcé en ma faveur. Que j’avais pendant plus de 25 ans contribué à la défense des droits humains dans la communauté. haïtienne. Qu’il y avait 77 candidats pour ce prix, et que c’est dans ce contexte que j’ai été élue. Nous considérons que c’est une bonne réponse. Cette réponse se trouve exposée dans les pages au mémorial de la Fondation de Robert Kennedy, publiée en espagnol et en anglais.

Vous venez de parler d’un secteur nationaliste dominicain qui avec le gouvernement, font de la pression sur vous. Ce secteur nationaliste se trouve dans quel parti, ou est-il dans les deux partis ?

Ce secteur se trouve dans tous les partis. Il y a un parti qui s’appelle Union Nationaliste. Ce n’est pas précisément un parti. C’est une organisation de pression. Il a des gens qui se trouvent dans les quatre grands partis. Le parti Réformiste, le parti PRD, le parti PLD qui est au pouvoir maintenant. Il y a un autre qui s’appel Forces Nationales Progressistes. Le président de ce parti est aussi le président de l’Union Nationaliste.

Ce groupe nationaliste appartient-il à la bourgeoisie, à la classe moyenne, ou à la masse ? Les gens de toutes les classes appartiennent-ils à ce groupe nationaliste ? A quel secteur social appartient à ce groupe ?

La classe moyenne et la bourgeoisie. Des entrepreneurs, ceux qui exploitent la main-d’œuvre haïtienne. Ces gens ne seront jamais d’accord pour qu’il y ait un politique migratoire, pour légaliser la quantité d’Haïtiens qui vivent depuis longtemps dans le pays. Ils ne veulent d’aucune loi qui peut améliorer les conditions de vie des immigrants haïtiens à Saint Domingue. Ils ne veulent pas que l’Haïtien ait un document pour travailler dans les mêmes conditions qu’un citoyen dominicain. Ceci est contre leurs intérêts en tant qu’entrepreneur utilisant la main-d’œuvre haïtienne.

Mise à part le jeu politicien des différents clans politiques, face à la volonté de vous enlever votre nationalité, est-ce que la pression vient des partis qui ont l’option de pouvoir ?

Il y a qui sont dans le pouvoir. Cette situation existe depuis 5 ans. C’est chaque année que les rapports sont publiés par différents organismes internationaux de droits humains, sur les conditions de vie des Haïtiens. Il y a plusieurs films qui ont été tournés sur cette situation, tel que Sucre Amère, et autres, pour faire savoir ce qui se passe. Cette situation est connue à travers le monde entier. Le monde entier sait qu’il y a un pays dans la Caraïbe où il y a des conditions sauvages contre un groupe pour la question de couleur ou de l’origine de la personne. Qu’il y a une exploitation sauvage contre cette communauté. Nous sommes allées à Washington pour protester contre cette situation. Quand il y a des contrats de la sorte qui se font, il faut tenir compte des droits humains. En se qui s’agit de l’éthanol qui va se faire à partir de la canne-à-sucre. Qui va couper la canne à sucre ? Dans cet échange commercial et industriel qui va prendre place entre les Etats-Unis, la République dominicaine, l’Amérique du Sud, l’Amérique Central, c’est la force de travail de l’Haïtien qui va le produire. On ne peut pas signer ces contrats sans tenir compte de l’amélioration des conditions de travail de ces travailleurs. Ce sont les bourgeois qui exploitent cette main-d’œuvre à outrance

Dans le milieu international quelles sont les organisations qui font respecter les droits humains ? Ont-elles la force nécessaire le faire ?

Elles ont la capacité pour le faire. Veulent-elles le faire sérieusement ? C’est ce que nous devons observer. Ces contrats ne doivent pas être signés, sans tenir compte des Haïtiens qui vivent en République dominicaine depuis 40 ans, 50 ans qui n’on aucun document. Qui sont vulnérables. Le service d’immigration peut à n’importe quel moment les déporter vers Haïti. Ce sont des gens totalement déracinés. Ils ont passé toute leur vie en République dominicaine. N’ayant aucun document, ils ne peuvent pas avoir de biens en leur nom. Ils n’ont pas de maison. Ils ne peuvent pas s’acheter un porc ou un bœuf, rien en leur nom. Tout ce que ces Haïtiens peuvent faire, après avoir vécu toute leur vie en Dominicanie, s’ils veulent s’acheter quoique ce soit, ils doivent le faire au nom d’un Dominicain. S’ils sont pris dans un processus de déportation, ils perdent tout. Le nom de celui qui se trouve sur le titre propriété, c’est à lui que revient la propriété. Ce problème se répète constamment à chaque opération de déportation. L’Haïtien ne peut rien réclamer. Il n’en est pas le propriétaire légal. Nous pensons que l’amélioration de la situation des Haïtiens est possible. Il y a une loi d’immigration qui va être approuvée, dans laquelle l’Haïtien n’a aucune possibilité. Au cours des débats de cette loi, on répète constamment, que le problème haïtien va se résoudre. Cette loi est en train de cibler spécifiquement les Haïtiens, alors que ce pays reçoit des ressortissants venant de tous les coins du monde.

Il y a quelque chose qui se passe avec un livre, le « Livre Rose ». On donnera un document rose à tous les enfants de ressortissants étrangers nés dans le pays dont les parents n’ont pas de document. C’est dans ce « Livre Rose » qu’on va les inscrire. Il y aura un « Livre Blanc ».

Coupure de la connection téléphonique.

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