L’ambassadeur dominicain en Haïti reconnaît la surexploitation de la main-d’oeuvre haïtienne en République Dominicaine
« Il y a des secteurs en République Dominicaine qui exploitent et même qui surexploitent non seulement la main-d’œuvre étrangère, dans ce cas, par exemple, les Haïtiens, mais aussi, la main-d’œuvre dominicaine. Et c’est pour cela que nous nous battons, nous les Dominicains-Dominicaines, pour que le régime économique soit de plus en plus juste en République Dominicaine, de la même façon que les Haïtiens-Haïtiennes se battent pour que le régime économique et social en Haïti, soit de plus en plus juste. Parce que, personne ne veut ni l’esclavage, ni l’exploitation, ni la surexploitation. Personne !» a martelé l’ambassadeur José Sérullé Ramia.«Je crois que les gens qui veulent cela, ce sont des gens très inhumains » a déploré le diplomate qui a poursuivi en ces termes : «Ce n’est pas une politique de l’Etat dominicain, cela, il faut que ce soit très clair. L’esclavage, ce n’est pas une politique de l’Etat dominicain. Ce n’est même pas une politique de l’Etat que les gens soient surexploités, parce que de plus en plus, on met sur place en République Dominicaine, un système de sécurité sociale qui garantit la vie humaine». L’ambassadeur Sérullé a affirmé qu’il y a « des secteurs traditionnels de l’économie dominicaine, comme le secteur de la canne à sucre, qui reste encore un secteur arriéré, tant au niveau de l’emploi que ce soit de la main-d’œuvre étrangère, dans ce cas, haïtienne et dominicaine, et ce secteur doit se développer, doit éliminer les pratiques qui ne sont pas cohérentes avec la société moderne d’aujourd’hui. Mais, il y a aussi un autre facteur qui est important. C’est que la main-d’œuvre étrangère et dans ce cas, celle qui nous concerne, la main-d’œuvre haïtienne, est employée de plus en plus dans des secteurs autres que la canne à sucre, et qui vit déjà en dehors des bateys traditionnels». Le diplomate dominicain s’est exprimé en ces termes lors du vernissage de l’exposition de photos Esclaves au Paradis , tenue, à Port-au-Prince, début décembre, à l’initiative du GARR, et présentant le sombre quotidien des coupeurs de canne haïtiens dans les bateyes. Soulignons que le Premier ministre haïtien, Jacques Edouard Alexis, qui avait, par courrier, annoncé sa venue, pendant la durée de l’exposition, qui s’est étalée du 5 au 18 décembre 2007, ne s’est jamais presenté.Ci-joint l’intégralité du discours de l’Ambassadeur José Serullé Ramia :«Vous savez, l’histoire dominicaine et haïtienne, ce sont deux histoires qui, une fois, n’étaient pas deux histoires, mais une Histoire. Parce que, vous savez que l’île n’était pas divisée, les populations étaient vraiment éparpillées partout sur le territoire, vous connaissez déjà l’histoire de nos indigènes et ils ont été exterminés par les puissances étrangères.Le colonialisme a mis fin à toute une civilisation qui était autochtone et qui nous appartenait. Après se sont formées deux sociétés, à travers trois siècles, quatre siècles de luttes, de vicissitudes pour les deux pays et d’abord, il y a eu l’Etat haïtien qui est né, à travers une lutte courageuse du peuple haïtien et surtout des esclaves et qui sont devenus des hommes et des femmes libres grâce à leurs luttes ; et grâce aussi à des dirigeants qui ont pris le soin nécessaire pour conduire le pays, Haïti, vers la libération et la constitution d’un Etat moderne.Par la suite, nous, on est resté une colonie et après, on a voulu être indépendant aussi en 1821, mais les conditions objectives du développement économique et social de la partie Est de l’île n’étaient pas encore mûres pour qu’on puisse devenir vraiment une nation libre, indépendante et c’est là qu’est apparue l’occupation de la part du président Boyer, une action faite, une action qui avait même le concours même des commerçants de la partie Est. Mais, ce régime est resté quand même pas mal de temps, 22 ans, c’était beaucoup. Il y a eu des secteurs de la société, déjà dominicaine, avec la langue espagnole, avec le catholicisme comme religion et qui avait des intérêts propres et qui voulaient devenir une nation libre. Et c’est comme cela que la République Dominicaine s’est séparée d’Haïti, en 1844. Et, à partir de 1844, notre nation était encore très faible, du point de vue économique, social et n’avait pas suffisamment de forces pour soutenir cette indépendance. Et c’est pour cela que les Espagnols sont revenus chez nous et ont recolonisé. Il y a eu un gouvernement espagnol, qui était un peu contrôlé par les généraux dominicains, un fait qui était d’ailleurs condamné par les Haïtiens, parce que les Haïtiens ne voulaient pas que la République Dominicaine devienne sous la domination d’une puissance étrangère, parce que cela mettait en danger aussi, l’indépendance d’Haïti, la liberté du peuple haïtien. Et c’est pour cela, qu’il y a eu une grande guerre de restauration de la République, en 1863-1865, et les Haïtiens, d’ailleurs, nous ont beaucoup aidé dans cette guerre, pour restaurer la République Dominicaine, et en 1865, on a réussi à restaurer notre République et l’Etat dominicain, un Etat souverain indépendant.Alors, là, dans l’île, il y avait déjà deux Etats indépendants. Nous sommes une île avec deux peuples qui ont des traditions, traditions qui ont des racines communes, parfois, il y a des racines qui ne sont pas communes, mais, la plupart de nos racines sont des racines communes ; et parce que nous, les deux pays, ont été habités par des anciens esclaves, et par des noirs qui sont venus de l’Afrique. Et on a eu aussi l’intervention des Espagnols, l’intervention des Français, nous avons eu aussi, l’intervention des Français pendant des périodes très courtes, dans l’histoire dominicaine. Cela veut dire que l’Europe a aussi contribué d’une façon ou d’une autre, positive ou négative, à faire le destin, si vous voulez, de ce que sont les sociétés haïtienne et dominicaine, aujourd’hui.Après, on a eu des gouvernements qui n’étaient pas tellement démocratiques, des gouvernements dictatoriaux, qui ont commis pas mal de crimes contre les deux peuples, des crimes contre les Haïtiens, des crimes contre les Dominicains. Et on a eu des gouvernements plus ou moins démocratiques aussi, comme aujourd’hui par exemple, nous avons deux gouvernements élus démocratiquement, tant en Haïti qu’en République Dominicaine. On a un président dominicain qui croit aux rapports harmonieux dans les relations haïtiano-dominicaines, qui croit à la liberté humaine, qui croit à la vie digne de l’homme et de la femme ; et on a aussi un président, en Haïti qui croit dans les mêmes valeurs. Parce que, le président Préval, je suis sûr qu’il croit énormément aussi à la liberté et à la dignité humaine. Cela veut dire que nous avons la chance d’avoir 2 présidents qui se connaissent bien, qui s’apprécient et qui ont un même langage. On a encore une vérité, deux vérités socio-économiques un peu différentes, on a connu à travers des décennies, un processus économique qui a conduit la République Dominicaine à un développement capitaliste un peu plus avancé que la République d’Haïti, mais Haïti a aussi des facteurs de développement très, très importants. Et je suis sûr que, dans la mesure que ce pays reste dans la paix, dans la stabilité, et que le peuple haïtien se mette d’accord, ce pays va réussir à avoir un essor économique, social et culturel assez important.Déjà, la culture de ce pays, c’est une culture très riche, c’est une population très riche en culture, c’est une population très riche en travail, parce que c’est une population très laborieuse, et je crois que cela est apprécié par tout le peuple dominicain. Il y a eu des secteurs dominicains et haïtiens qui ont voulu, pendant toute l’histoire, nous diviser, comme peuples, c’est normal, il faut diviser pour vaincre, il faut diviser pour que les gens deviennent moins forts, et alors, ces secteurs qui sont vraiment des groupes très minoritaires ont voulu nous diviser dans l’histoire, dans nos cultures, dans nos propos, dans nos objectifs historiques, pourquoi pas, de développer des projets communs, pour qu’on puisse vraiment, Haïtien-Haïtienne, Dominicain-Dominicaine, avancer dans le progrès, avancer dans la liberté et la dignité humaine. Il y a des secteurs en République Dominicaine qui exploitent et même qui surexploitent non seulement la main-d’œuvre étrangère, dans ce cas, par exemple, les Haïtiens, mais aussi, la main-d’œuvre dominicaine. Et c’est pour cela que nous nous battons, nous les Dominicains-Dominicaines, pour que le régime économique soit de plus en plus juste en République Dominicaine, de la même façon que les Haïtiens-Haïtiennes se battent pour que le régime économique et social en Haïti, soit de plus en plus juste. Parce que, personne ne veut ni l’esclavage, ni l’exploitation, ni la surexploitation. Personne !Je crois que les gens qui veulent cela, ce sont des gens très inhumains. Alors, ce n’est pas une politique de l’Etat dominicain, cela, il faut que ce soit très clair. L’esclavage, ce n’est pas une politique de l’Etat dominicain. Ce n’est même pas une politique de l’Etat que les gens soient surexploités, parce que de plus en plus, on met sur place en République Dominicaine, un système de sécurité sociale qui garantit la vie humaine. C’est vrai que c’est difficile à avoir une sécurité sociale telle que la voudrait même le président de la République Dominicaine et le gouvernement actuel, mais on fait un énorme effort pour établir un bon système de sécurité sociale pour que les gens, dès qu’ils naissent, avant de naître, avant de naître, et après qu’ils meurent, puissent mener une vie digne, la famille puisse vivre dans une ambiance vraiment de solidarité humaine.Il y a des secteurs traditionnels de l’économie dominicaine, comme le secteur de la canne à sucre, qui reste encore un secteur arriéré, tant au niveau de l’emploi, du travail, que ce soit de la main-d’œuvre étrangère, dans ce cas, haïtienne et dominicaine, et ce secteur doit se développer, doit éliminer les pratiques qui ne sont pas cohérentes avec la société moderne d’aujourd’hui. Mais, il y a aussi un autre facteur qui est important. C’est que la main-d’œuvre étrangère et dans ce cas, celle qui nous concerne, la main-d’œuvre haïtienne, est employée de plus en plus dans des secteurs autres que la canne à sucre, et qui vivent déjà en dehors des bateyes traditionnels.Je peux dire que presque 90%, au moins 80 et 95% de la population haïtienne, qui vit et travaille en République Dominicaine, vit et travaille en dehors des champs de canne à sucre et en dehors des bateys. Par exemple, j’ai raconté quelque chose à un ami, hier à l’Ambassade, un Haïtien, un ami à moi, je lui ai dit que j’ai été surpris, parce que je suis passé par une rue de Santo Domingo, c’était avant-hier, vers une heure et demie de l’après-midi, et j’ai vu cette rue qui est d’ailleurs une rue située au centre de la ville, du côté de l’Avenida Sarasota, où on construit plus de 15 immeubles. Et j’ai vu, à ce moment-là, tous les gens qui étaient dehors, qui mangeaient, qui riaient, qui parlaient entre eux, c’étaient pas des Dominicains. C’étaient tous des Haïtiens, et même des femmes haïtiennes, qui donnaient à manger à ces gens-là, qui donnaient à boire, et même qui travaillaient, parce qu’il y a aussi des femmes qui travaillent au niveau de l’industrie de la construction. Et moi, je me suis arrêté un peu pour parler. Je ne leur ai pas dit que j’étais ambassadeur. Je parlais en tant que citoyen. Je leur ai dit : comment ça va, comment ça marche ? On m’a répondu, ça marche très bien. Nous, nous avons des salaires de mieux en mieux, nous demandons même les mêmes salaires que les Dominicains. Et moi, je crois que c’est cela qu’il faut réussir, c’est-à-dire, aboutir à ce que les gens gagnent les mêmes salaires et avoir aussi que les Dominicains gagnent de meilleurs salaires pour que les Haïtiens qui travaillent chez nous, gagnent aussi de meilleurs salaires. Parce que…il ne peut pas y avoir 2 salaires, un salaire pour les Dominicains et un salaire pour les Haïtiens. Il faut avoir un salaire pour tout le monde. C’est comme pour la femme et l’homme. Parfois, la femme gagne moins que l’homme. Il ne faut pas qu’il y ait une différence entre les salaires versés à l’homme et à la femme. Parce qu’on est dans une condition d’égalité.Moi, je pense que les choses s’améliorent énormément. C’est vrai qu’il y a des problèmes. Vous savez, tout immigrant, toute immigrante, dans n’importe quel pays, a toujours de petits problèmes, même de gros problèmes parfois. Parce que, nous connaissons, nous toutes et nous tous, nous savons qu’il y a un grave problème au niveau de l’immigration mondiale. Et les pays d’Europe, les Etats-Unis, le Canada, ont des problèmes. Le Mexique a un grave problème vis-à-vis des Etats-Unis, les pays de l’Amérique Latine, entre eux, ont des problèmes : entre l’Argentine, le Chili, il y a des problèmes migratoires. Alors, mais nous, nous avons un avantage, Haïtiens et Dominicains, nous n’avons pas de litiges frontaliers. Est-ce que vous avez entendu parler d’un litige frontalier ?…qu’on se bat pour un morceau de terre, entre Dominicains et Haïtiens ? Non ! Cela, c’est une chose qui a été résolue historiquement entre les Haïtiens et les Dominicains.Et je crois que maintenant, ce qu’il faut résoudre, c’est qu’il y ait une solidarité de plus en plus grande entre le peuple dominicain et le peuple haïtien ; pour qu’il y ait vraiment une politique entre les deux Etats, totalement transparente, pour qu’on puisse discuter tous les sujets, tous les thèmes, sur une même table, avec un principe d’unité, unité des Haïtiens-Haïtiennes, Dominicains-Dominicaines, un principe de respect, l’un vis-à-vis de l’autre. Je crois que c’est fondamental que les Dominicains-Dominicaines, Haïtiennes-Haïtiens se respectent, s’aiment. On doit s’aimer, parce que nous partageons une île qui nous appartient à nous tous et à nous toutes. Personne ne peut diviser cette île, personne ne peut couper l’île et dire : Bon, maintenant, c’est deux îles. Non, on est une île ! Et cette île, il faut la protéger. Cette île, il faut l’aimer. C’est un éco-système unique, et en plus, c’est l’une des plus riches au monde en bio-diversité, et c’est à nous, jeunes et tous les gens en général, de protéger cette île. Alors, moi, mon message aujourd’hui, c’est un message de solidarité, de beaucoup d’amour, de tendresse vis-à-vis du peuple haïtien. C’est un peuple frère, et je souhaite que tous les rapports qui s’établissent entre nos deux peuples, soient des rapports d’équité, des rapports d’égalité, de justice, et que ce soient des rapports de solidarité intense et qu’il faut toujours se battre pour cela. Il faut se battre, mais, il faut le faire avec beaucoup et même un peu de tendresse, parce que moi, je ne pense pas, je suis presque sûr que s’il y a des secteurs en République Dominicaine, qui sont des secteurs racistes, qui font la discrimination, comme il y en a ici aussi. Mais, ce sont des secteurs minimes de la population. Ce n’est pas vrai que la population dominicaine ait une attitude contraire aux Haïtiens, aux Haïtiennes ; et la preuve en est qu’on a presqu’un million d’Haïtiens-Haïtiennes qui vivent, qui travaillent chez nous, et ce sont des gens qui sont respectés. Il peut y avoir une personne, une entreprise, qui fait du mal à un Haïtien, une Haïtienne, mais ils font aussi du mal aux Dominicains, aux Dominicaines. Et parce que c’est leur nature, il y a là une nature qui est la nature de l’exploitation du régime qu’on a au niveau mondial. C’est pas un régime qui est basé totalement sur l’égalité, nous le savons tous. Alors, mais nous devons nous battre. Et c’est un travail, ici, je crois, qui est important, c’est un travail pour que les gens prennent conscience sur les conditions de vie des gens ; on peut être d’accord ou pas sur certaines analyses mais l’essentiel c’est qu’il y a un travail qui se fait pour le bonheur des Dominicains-Dominicaines, Haïtiens-Haïtiennes. Merci beaucoup.
(Discours de l’Ambassadeur dominicain en Haïti, José Sérullé Ramia, au vernissage de l’exposition Esclaves au Paradis, le 5 décembre 2007, à Port-au-Prince)
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