
Le Collectif des organisations pour la Défense du droit au Logement a honoré la mémoire des victimes du séisme du 12 janvier
Plusieurs centaines de personnes issues d’organisations de la société civile, des camps de déplacés-es, du milieu universitaire ont marché dans les rues de Port-au-Prince, le 12 janvier 2012 pour honorer la mémoire des disparus-es du séisme dévastateur du 12 janvier 2010.
Déroulée autour du thème « 12 janvye 2010, 2 lane apre, se twòp atò (12 janvier 2010, deux ans plus tard, nous en avons assez) », cette marche a démarré à Sainte Marie, une localité de Canapé-Vert, à l’Est de Port-au-Prince, pour se terminer au Fort National, un quartier populaire situé au Nord-est de la capitale.
La localité de Sainte Marie avait été choisie comme point de ralliement en raison de la quantité de personnes qui ont été inhumées dans une fosse commune dans l’un des cimetières de ladite communauté. Alors que pour le Fort National, c’est en raison du nombre élevé de morts qui ont été enregistrés dans ce quartier.
Sous un soleil de plomb, les marcheurs/marcheuses munis de pancartes ont parcouru les rues de la capitale en entonnant des chansons de deuils. Ils/elles ont aussi scandé des slogans hostiles aux dirigeants du pays qui, selon eux, ont contribué à appauvrir davantage le pays en laissant le champ libre aux étrangers pendant que les déplacés-es croupissent dans la crasse et la misère dans les différents sites d’hébergement du pays.
« Se pa tranblemanntè ki te touye frè ak sè nou yo, se move jesyon dirijan nou yo ( ce n’est pas le séisme qui a tué nos frères et sœurs, c’est la mauvaise gestion de nos dirigeants. », « nou vle kay, nou pa vle kalòj( nous voulons des maisons, nous ne voulons pas des cages d’oiseaux) », « Si gen tè pou izin, fòk gen tè pou fè kay pou pèp la( s’il y a de terrains pour construire des usines, il faut qu’il y en ait pour construire des maisons pour la population) », « Aba CIRH(nous ne voulons pas la CIRH), Aba MINUSTAH (nous ne voulons pas la MINUSTAH) ! », pouvait-on lire entre autres sur les pancartes.
La marche a été entrecoupée d’arrêts devant des locaux de certains édifices publics et privés qui avaient payé un lourd tribut à ce cataclysme. Des gerbes de fleurs avaient été déposées sur les ruines et dans l’enceinte de ces instituions dont l’Université de Port-au-Prince (UP), Solidarite Fanm Ayisyèn (SOFA), la Faculté de Linguistique Appliquée (FLA), l’Ecole Nationale des Infirmières (ENI), l’Ecole Normale Supérieure, le Palais de Justice et la Direction Générale des Impôts (DGI). Des messages ont été également délivrés par des membres du collectif des organisations pour la défense du droit au logement.
La Coordonnatrice du GARR, Colette Lespinasse, qui avait donné le signal de départ a salué la mémoire des victimes du séisme dévastateur qui avait fait plus de 300 mille morts et presqu’autant de blessés (Selon les autorités haïtiennes). « C’est un devoir de mémoire pour parler de ces personnes qui nous ont été chères et qui sont mortes pendant le tremblement de terre. Nous ne pouvons pas les oublier. », a-t-elle déclaré tout en invitant les participants-es à réfléchir sur les causes profondes du décès de toutes ces personnes.
Intervenant en la circonstance, le président du Conseil d’Administration de la 6ème Section Communale de Turgeau (CASEC), Raoul Pierre Louis qui retraçait l’événement, a dit regretter la disparition de toutes ces personnes, le 12 janvier 2010. « Le séisme nous a porté un coup terrible. Jusqu’à date, nous continuons à pleurer nos chers-es disparus –es. Si le pays était bien organisé, nous n’aurions pas dénombré tous ces cadavres. », a souligné M. Pierre Louis.
A l’université de Port-au-Prince, institution universitaire où plusieurs centaines d’étudiants-es ont péri, Reyneld Sanon, Coordonnateur de FRAKKA (Force de Réflexion et d’Action sur la problématique de logement (FRAKKA), a dit tirer les leçons de cette catastrophe. « Nous rendons hommage à ces étudiants qui sont passé de la vie au trépas dans cette institution où ils/elles étaient venus se meubler l’esprit. Mais hélas, le séisme du 12 janvier a brisé leur rêve…. Le départ prématuré de ces fils et filles du pays doit nous porter à réfléchir en vue d’éviter la répétition de tel drame. », a-t-il fait remarquer. En ce sens, M. Sanon a formulé des recommandations aux autorités haïtiennes. « Il faut que les espaces publics servant à accueillir beaucoup de gens soient construits suivant les normes parasismiques. Il faut qu’il y ait également un plan d’évacuation en vue d’éviter des pertes en vies humaines en cas de catastrophe. », a-t-il conclu.
Devant les locaux de la SOFA, Marie Frantz Joachim, une militante féministe a salué le courage des grandes figures de la lutte féminine disparues lors du séisme. Elle a cité entre autres les noms de Myriam Merlet, d’Anne Marie Coriolan et de Magalie. La militante féministe a plaidé en faveur d’une politique d’aménagement du territoire national et de déconcentration des services publics. « Si l’Etat haïtien s’était donné la peine d’aménager le territoire et de déconcentrer les services publics, la plupart de nos frères et sœurs n’auraient pas disparu. », a-t-elle souligné.
Intervenant à la Faculté de Linguistique Appliquée, Camille Chalmers, directeur exécutif de la PAPDA a honoré la mémoire des étudiants et professeurs de la Faculté de Linguistique Appliquée, notamment le professeur Pierre Vernet, l’ancien doyen de cette institution qui a passé toute sa vie dans la promotion de la langue créole en Haïti. M. Chalmers a plaidé en faveur d’une réforme éducative qui tiendrait compte de l’histoire et de la culture du pays, d’une éducation universelle où tous les Haïtiens/nes auront la capacité de construire leur identité individuelle et collective. En ce sens, un budget adéquat doit être alloué à l’éducation et l’Université d’Etat d’Haïti doit se préparer à jouer un rôle fondamental dans le processus de reconstruction. « Il faut renforcer le système éducatif haïtien sur la base d’une vison nationale permettant aux Haïtiens-nes de se développer en vue d’une transformation réelle du pays. », a-t-il martelé.
Prenant la parole à l’Ecole Normale Supérieure, le Professeur Chalmers a déploré la destruction de nombreux espaces d’enseignement classique et universitaire ainsi que la perte de différents archives et bibliothèques du pays pendant le séisme. M. Chalmers a regretté le départ vers l’au-delà d’imminents professeurs qui ont péri dans l’exercice de leur fonction. Il a plaidé une fois de plus pour que l’université joue son rôle dans la construction de la nouvelle Haïti et que la formation pour la compréhension des catastrophes naturelles et la prévention des risques soient intégrée dans le curriculum de cette école de formation de professeurs.
A l’Ecole Nationale des Infirmières, Dr Lise Marie Déjean, Coordonnatrice de la SOFA a mis l’accent sur l’inadéquation du système sanitaire haïtien. La féministe a exhorté les autorités haïtiennes à mettre en place une politique de santé publique inclusive où les soins de santé ne seront plus une affaire de luxe. « Il est temps que les fils et filles du pays cessent de mourir pour absence de soins médicaux. Les autorités du pays doivent œuvrer pour que la santé soit accessible à tous et à toutes. »,a-t-elle déclaré.
Intervenant sur les ruines du Palais de Justice, Antonal Mortimé, Secrétaire Exécutif de la Plateforme des Organisations de Droits Humains (POHDH) a exhorté les autorités haïtiennes à mettre en place une politique de justice équitable. Il s’est fait le porte parole de ceux et celles qui n’ont pas les moyens de s’acheter des terres pour construire leurs maisons. Il a plaidé en faveur de mesures judiciaires visant à combattre l’impunité et la corruption qui gangrènent le pays. « Les autorités judicaires doivent s’engager à ce que l’impunité soit disparue en Haïti et que les corrupteurs soient punis conformément à la loi. », a-t-il déclaré tout en exhortant la justice haïtienne à appliquer les lois relatives au loyer, au cadastre et à la construction dans le pays.
Me Patrice Florvilus, représentant de DOP (Défenseurs des Opprimés), prenant la parole devant les ruines de la Direction Générale des Impôts (DGI), a exhorté les autorités haïtiennes à faire bon usage des taxes prélevées des citoyens et citoyennes afin que ces derniers puissent en bénéficier en retour. « Les taxes de la population doivent être utilisées à bon escient. Elles doivent servir à construire des écoles, des hôpitaux, des routes…. », A-t-il proposé.
Un groupe de rara issu du Mouvement de Liberté et d’Egalité des Haïtiens pour la Fraternité (MOLEGAF) a accueilli la marche au Fort National. Plusieurs dizaines de résidents-es de ce quartier populaire ont rejoint la foule et scandaient des slogans en faveur d’une reconstruction où le droit de tout un chacun d’avoir accès à un logement décent soit respecté. « Nous voulons des maisons et non des cages d’oiseaux. », ont-ils chanté en chœur.
Sur l’estrade érigée en la circonstance au Fort National, Colette Lespinasse et Sanon Reyneld ont tour à tour fustigé le comportement des autorités haïtiennes qui n’ont rien fait jusqu’ici pour tirer les déplacés-es du séisme du 12 janvier 2010 de leurs situation misérable. Ils ont rappelé que l’ex gouvernement haïtien avait déclaré que la reconstruction allait commencer au Fort National alors que la population vit encore sous des bâches en très mauvais état. Les responsables du Collectif des Organisations pour la Défense du Droit au Logement ont invité les résidents-es de ce quartier populaire à se battre pour forcer l’Etat haïtien à appliquer l’article 22 de la Constitution haïtienne qui lui fait obligation de doter les citoyens-nes du pays de logements décents.
Soulignons que cette marche du 12 janvier 2012 a été organisée à l’initiative du Collectif des Organisations pour la Défense du Droit au Logement composé de : GARR, POHDH, PAPDA, FRAKKA, SRJ-HAITI, BATAY OUVRIYE et DOP.
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