Résolutions du Colloque International sur la problématique du logement en Haïti
Nous, organisations représentant les victimes du séisme hébergées dans les camps de déplacés-es et un groupe de représentants-es d’organisations sociales et populaires, réunis à Fany Villa, à Port-au-Prince, les 19, 20 et 21 mai 2011, avions réfléchi sur la problématique du logement en Haïti, inscrite au cœur d’une crise de longue date.Tout au long du colloque, nous avons pu constater comment l’Etat haïtien, les classes dominantes et les institutions internationales sont restés sourds aux problèmes de logement auxquels sont confrontés plusieurs millions d’Haïtiens-Haïtiennes depuis bien des années, une situation qui s’est aggravée après le 12 janvier 2010. La plupart de ceux-celles dont les résidences ont été détruites par le séisme ne disposent pas de moyens pour les reconstruire. 16 mois après cette catastrophe, 700.000 personnes se voient obligées de vivre encore dans les rues et beaucoup de familles connaissent de mauvaises conditions d’existence dans les bidonvilles. Nombreux sont ceux et celles qui ont été réduites à regagner leurs maisons fissurées, lesquelles peuvent s’effondrer à n’importe quel moment. Nous rejetons toutes les fausses solutions comme la distribution de bâches, (abris temporaires/abris provisoires), ou la mise en place de petits shelters qui n’apportent aucune vraie solution au problème, ne protègent guère la vie des déplacés-es et qui ne respectent pas non plus notre dignité et notre façon de vivre.Après maintes réflexions autour du thème : «12 janvier : cauchemar, réalité et rêve», nous déclarons ce qui suit :1. Nous nous engageons à poursuivre la lutte pour porter l’Etat haïtien à définir une politique globale de logement qui puisse garantir les droits de tous les Haïtiens-Haïtiennes à vivre dans des maisons qui respectent leur dignité d’êtres humains. Il est nécessaire que l’Etat procède à des lotissements en vue d’entreprendre des projets de construction susceptibles de donner une réponse à la situation actuelle.2. L’Etat doit définir sans discrimination aucune, une politique d’aménagement du territoire. Bien avant le 12 janvier, un grand déséquilibre s’observait, les choses tournaient mal, car 80% de la population de Port-au-Prince vivaient sur 20% du territoire de la ville. Nous voulons que toutes les discriminations en matière de logement disparaissent, cette histoire de quartiers des gens d’en haut et quartiers des gens d’en bas doit cesser. Tous les quartiers doivent offrir des lieux où l’on peut vivre en toute dignité et en sécurité. Nous n’accepterons pas que toutes les richesses et les infrastructures se concentrent en un seul point de cet espace urbain ; ni que l’on reconstruise le pays dans l’unique objectif d’accueillir des zones franches. 3. Le Parlement doit préparer et voter une loi garantissant le droit au logement, comme le stipulent l’article 22 de la Constitution de 1987 et la Convention Interaméricaine sur les Droits Economiques, Sociaux et Culturels. Il faut que la loi définisse les règles du jeu en matière de construction (Sol, matériaux, distance, service de base, environnements, esthétique…). Le Parlement doit aussi ratifier le Pacte International sur les Droits Economiques, Sociaux et Culturels, un outil de nature à renforcer la lutte visant la défense de nos droits, notamment le droit au logement.4. L’Etat doit rechercher des terrains et s’en approprier (en d’autres termes, procéder à des expropriations) en vue de disposer des espaces nécessaires pour combler les besoins en logement de la population.5. La population doit participer aux décisions concernant l’endroit où les maisons seront construites et les quartiers placés. Il revient à nous, citoyens et citoyennes, d’indiquer le Port-au-Prince que nous voulons construire, et non aux étrangers qui s’amènent avec leur plan tout fait.6. Nous sommes prêts à apporter notre contribution (en financement, force de travail, matériaux) afin que nous ayons accès à des logements respectueux de la dignité humaine. Cependant, l’Etat doit financer des projets de construction qui permettront à tous les citoyens-citoyennes de trouver des logements dans le meilleur délai, même s’ils doivent verser des loyers raisonnables pendant plusieurs années. L’Etat doit créer un fonds spécial de financement de logements sociaux. De très fortes sommes d’argent qui auraient pu être investies dans la satisfaction du droit au logement de la population sont en train d’être gaspillées dans le pays. A titre d’exemple, le budget de la Mission des Nations-Unies pour la Stabilisation d’Haïti (MINUSTAH) pour seulement 12 mois, pourrait faciliter la construction de plus de 77.000 maisons et le logement dans la dignité de près de 400.000 personnes.7. Un logement et une portion de terre ont valeur de source de vie permettant aux humains de vivre, grandir, se protéger, et à leurs familles de se reproduire. L’Etat et les communautés doivent prendre les mesures nécessaires afin que ces outils conservent leur valeur de source de vie au lieu de se transformer en marchandises aux mains des bourgeois qui s’enrichissent aux dépens de la population. 8. L’Etat doit s’évertuer pour que ceux et celles qui ne disposent pas de grands moyens puissent trouver des logements décents. Des institutions comme la Banque Nationale de Crédit et les banques commerciales doivent mettre en place des programmes spéciaux pour aider la population à réparer ou construire leurs maisons dans de meilleures conditions avec une attention spéciale à l’égard des personnes à faibles revenus et des handicapés-es.9. L’Etat doit réguler le coût du loyer qui augmente de jour en jour et qui se règle en devise américaine. Il faut une loi qui fixe les règles du jeu afin d’éviter que des spéculateurs, profitant de la misère et du désespoir de la population, s’enrichissent illicitement.10. L’Etat doit garantir la sécurité sur tout le territoire. Nous ne voulons plus de constructions anarchiques, ni de constructions dans la promiscuité et en dehors de toutes normes. Nous voulons des maisons où nous pouvons vivre normalement et qui nous garantissent des risques qui menacent le pays. L’aménagement du territoire national doit se baser sur les préventions des grands risques (séisme, cyclones, éboulements de terre, inondations, tsunamis, etc…). L’Etat doit développer des programmes d’éducation et de formation pour préparer la population face à de tels risques.11. Le droit au logement ne doit pas être séparé des autres droits. Les droits au travail, à la santé, à l’éducation, aux loisirs, à un environnement propre, etc., sont interconnectés. De ce fait, les constructions doivent être réalisées dans une démarche qui facilite la jouissance globale de tous ces droits. 12. Dans tous les projets de construction, il faut prévoir des espaces publics qui permettront à la communauté de développer des activités collectives, telles : prendre de l’air, faire du sport, organiser des réunions et des rassemblements, réaliser des activités culturelles (Théâtres, expositions de peintures, etc…). Il faut qu’il y ait une gestion spéciale des espaces publics. Une attention particulière doit être portée sur l’aménagement des terres situées au bord de mer en vue de protéger l’environnement, les mangliers, mais aussi pour réaliser des activités culturelles associées aux ressources offertes par la mer.13. Nous optons pour la réalisation d’un village communautaire où chaque famille pourra avoir son propre espace et où il sera possible également de développer des activités communautaires. En ce sens, nous croyons que la mise sur pied d’une coopérative de logements est une alternative louable qui permettra de sauvegarder le droit au logement de la population qui ne dispose pas de gros moyens.14. Nous réclamons des constructions qui respectent les architectures locales, qui utilisent des matériaux du terroir comme l’argile, le marbre, le bambou, etc. Nous voulons des maisons attrayantes avec des façades décorées, inspirées de notre culture ; des maisons qui stimulent la vie en communauté et qui permettent à ses occupants-es de maintenir le dialogue entre eux ; des maisons dotées de cour et de jardin où nous pouvons cultiver des légumes et d’autres plantes médicinales ; des maisons qui respectent notre dignité et l’intimité dont chacun de nous a tant besoin. Nous voulons des maisons avec des espaces où nous pouvons vivre en famille avec nos voisins-voisines, où nous pouvons partager ensemble notre nourriture et bien d’autres choses de la vie de tous les jours. Nous devons défendre la préservation du patrimoine architectural du pays.15. Chaque quartier doit être doté d’un centre culturel pour éduquer les enfants et les jeunes sur les valeurs culturelles haïtiennes et l’histoire du pays. Des activités spéciales doivent être mises sur pied à l’attention des enfants. Chaque quartier doit comporter des espaces réservés à la construction de notre mémoire collective de peuple. En ce sens, il est important de construire plusieurs monuments en souvenir de nos frères et sœurs disparus lors du séisme du 12 janvier 2010.16. Dans toutes les constructions et surtout dans les infrastructures collectives, il faut tenir compte des handicapés-es et faciliter leurs déplacements au quotidien.17. Tous les projets de construction doivent comporter une attention spéciale en ce qui a trait aux droits des femmes. Dans la mesure du possible, les noms du mari et de la femme doivent figurer sur les titres de propriété. Dans les successions, les hommes ne doivent pas être priorisés par rapport aux femmes. Dans les lois relatives au logement, l’Etat doit protéger les droits des femmes célibataires ou de celles qui vivent avec des hommes polygames. Il faut que les maris et les femmes aient les mêmes droits sur leur maison. Les organisations haïtiennes doivent continuer à lutter contre toutes les formes de violences physiques et morales dont sont victimes les femmes dans leurs foyers. Les travaux domestiques doivent être répartis à part égale entre mari et femme. Nous réclamons un programme de formation spéciale visant à intégrer les femmes à tous les niveaux dans les travaux de construction entrepris.18. Nous dénonçons les scandales de corruption dans la gestion des programmes de logement, les corruptions au niveau de l’Etat, des ONGs et de la Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti (CIRH). Nous réclamons le renforcement des organismes et structures de l’Etat pour travailler sur la problématique du logement.Voici la liste des organisations et camps représentés dans le colloque, qui ont signé cette déclaration :AVS, SAJ/VEYE YO, Chandèl, ACPRODDH, ARDFD/Tabarre Issa, ASCOEH, CSC, Fanm Devre, Camp Maranatha, MODEP, FIDES-Haïti, CCCSC, CAVS-PA, Camp Immaculée, KSF, Camp Décovil /Lascahobas, Camp Acacia, UPPFA, OFEDSHA, BRI KOURI, OVISEC, GARR, SEPJASA, FRAKKA, AFAD, COGESIF, ASCOEH, FADEC, Camp Food for the poor, RNGDH, COB 5, LIDCCHA, CSPPB, Sant Pon Ayiti, SEPJASA, AVOVIS 12, Camp Fortunat Guéry, CRAD, MPFD, RAFEVINNHA, CSPB, JILAP, REFEH, MPDDP, Sèk Gramsci, COSSBAMI, KASIM, FOPISE, CVHEM/Jacmel, FADEC, AEI, ACHUF, POHDH, Camp Mesiane, CEFEF, UJDEC, Camp Toussaint Louverture, Camp Vallée de Bourdon, OVISEC/Canaan II, Other world, AJCH, MOUFHED, AFAD, Camp Juanpas/Lascahobas, MRCP, COOPHABITAT, FRAKKA, Batay Ouvriye(B.O), Komite Relèvman Divivye (KRD), PAPDA, GREAAL, OFEDA, FIDES, SOFA.Pour authentification :Colette Lespinasse, GARRSanon Reyneld, FRAKKACamille Chalmers, PAPDAAntonal Mortimé, POHDH
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