
Déplacés –es du Stade Sylvio Cator : Expulsions forcées ou relocalisation réussie ?
Une journée après l’expulsion des déplacés-es qui occupaient depuis le séisme du 12 janvier 2010 le stade Sylvio Cator, alors que le Maire de Port-au-Prince qui a mené l’opération se donne un satisfecit, 103 parmi ces familles qui ont été relocalisées vers un terrain vide dans la zone du bicentenaire éprouvaient beaucoup de peine pour se forger un nouvel abri. Au matin du mercredi 20 juillet 2011, le site où elles ont été envoyées ressemblait plutôt à un véritable chantier en désordre. Aucun abri décent n’a été aménagé, ni par la municipalité de Port-au-Prince, ni par un organisme quelconque d’accompagnement, comme l’avait laissé entendre le Maire Jason. Contrairement au lundi 18 juillet, quand une unité de protection civile municipale avait mis en place une structure d’accueil, les responsables municipaux ne sont plus présents le 20 juillet. De temps à autre, un véhicule de la mairie arrive sur le site.
Seuls, les nouveaux occupants s’affairaient à utiliser les débris de leurs tentes démontées comme matériaux de base pour construire leurs nouvelles demeures. D’autres ont dû prélever de la maigre allocation de 10,000 gourdes qui leur avait été donnée par la Mairie pour s’acheter des matériaux supplémentaires.
« J’ai payé une première tranche de 400 gourdes à un brouettier pour transporter mes affaires du stade vers le terrain, puis une deuxième fois 600 gourdes et la troisième fois 350 gourdes. J’ai ensuite payé 1500 gourdes à un ouvrier pour me faire construire la tente. Il ne me reste presque plus rien », se plaint Marie, une des femmes déplacées.
Après avoir aplani le terrain, des agents de la mairie avaient délimité l’espace en octroyant une petite parcelle d’environ à chaque famille. Cependant, aucun apport n’a été fourni ni en matériaux, ni pour le transport.
Les familles, anciennement hébergées au Stade Sylvio Cator, ont entrepris de monter leurs abris, comme bon leur semble, presque dans la pagaille, sans aucune norme de logements convenables. Elles ne savent pas ce qui leur adviendra en cas d’intempéries. Elles n’ont aucun espace, qu’elles pourraient transformer en cuisine ni aménager pour le bain.
Le site ayant accueilli les 103 familles déplacées, anciennement hébergées au Stade de football Sylvio Cator, est borné à l’Ouest par des familles riveraines habitant des abris de fortune, à l’Est par l’avenue (Harry Truman) surnommé Bicentenaire, au Nord par un garage d’automobiles, au Sud par une voie d’accès à proximité de laquelle se trouve un camp privé (établi sur le Parc dénommé “Pelé”). Ce camp est pris en charge par le Groupe haïtien d’études du syndrome de Karposi et des infections opportunistes (Gheskio), une institution de santé, œuvrant notamment sur la question du Sida et dont le siège social se trouve dans les environs.
Les techniciens du Ministère des Travaux Publics, Transports et Communications (MTPTC), qui ont procédé au nettoyage du site avant l’arrivée des nouveaux occupants, ont laissé presque intact un ancien bâtiment en béton où était logé dans le passé le Service de Signalisation routière. A l’intérieur de ce bâtiment désaffecté, demeurent des eaux stagnantes et les nouveaux occupants ont entrepris d’y jeter les matières fécales, fautes de toilettes disponibles.
Sur le toit de ce bâtiment est placée une grande antenne de transmission de signaux à côté de laquelle certaines familles ont posé plusieurs tentes.
A l’entrée du site (façade Est), passe un grand canal de drainage rempli d’alluvions, d’immondices et d’eaux sales.
En l’absence de toilettes mobiles, non encore disponibles à la mi-journée du mercredi 20 juillet 2011, certaines des familles du nouveau site auraient été autorisées à utiliser les toilettes du camp Gheskio (lequel abrite 610 familles, soit 2,714 personnes) contre paiement de 5.00 gourdes à chaque utilisation. Autant dire que ceux et celles qui ne peuvent pas payer n’ont pas accès à ces toilettes. Beaucoup de familles soutiennent être contraintes, depuis 3 jours (depuis le 18 juillet) de se rendre au Portail Léogane (à environ 1/2 km du site) afin de satisfaire leurs besoins physiologiques. D’autres vont à la selle dans des sachets en plastique, qu’ils évacuent soit à l’intérieur du bâtiment désaffecté, soit dans le grand canal de drainage à proximité, ou encore dans d’autres endroits non précisés.
Ici et là, sont empilés les effets des familles : vêtements, chaussures, vaisselles et autres ustensiles de cuisines, tandis que les enfants se cherchent de nouveaux jeux pour passer le temps dans leur nouvel environnement. Aucun parent n’a déploré avoir perdu d’enfants au moment du déplacement.
Dans cet abri, une jeune fille fait la lessive en face de sa sœur jumelle, tandis qu’un enfant dort sur une feuille de planche à ses côtés. Dans cet autre abri, une jeune dame se prépare des œufs frits qu’elle va consommer avec ses 2 filles.
Les nouvelles familles, venues au site officiel du bicentenaire, affirment être tenaillées par le stress du milieu ambiant, tant elles doutent du climat sécuritaire de la zone.
A la mi-journée, une patrouille de policiers nationaux rapporte avoir été confronté à une course poursuite de suspects, qui auraient pénétré l’espace du village au vu de la patrouille.
« Il faut construire, dans l’immédiat, un mur de clôture approprié pour nous faciliter les tâches sécuritaires aux abords du site. Sans quoi, notre mission de protéger et de servir sera plus compliquée. », prévient le chef de la patrouille de policiers nationaux.
De leur côté, les familles occupantes, qui ne connaissent pas encore le nouvel environnement où elles viennent d’emménager, forment le vœu de l’installation, dans le meilleur délai, d’un mur de clôture sur toutes les façades du nouveau site officiel, afin de prévenir des actes de délinquance, de vols et de viols.
Les familles craignent également de ne pas pouvoir vaquer aux occupations antérieures qui leur permettaient de joindre les deux bouts. Ghislaine est une marchande de rue qui vendait de la nourriture cuite. Elle a confié ceci à un reporter du GARR : « Avant le tremblement de terre, je vendais des produits cosmétiques. Quand j’étais au stade je vendais des aliments préparés. Pour le moment, je ne sais pas ce que je vais devenir avec les enfants, car l’endroit où nous sommes logés n’est pas approprié pour le commerce. Ici, il n’y a pas d’électricité et j’ai peur d’être attaquée par des bandits ».
Depuis le 18 juillet, la plupart de ces familles s’efforcent d’acheter du manje kuit(nourriture préparée), car elles n’ont pas encore la possibilité de se préparer des aliments. Il n’y a pas encore d’eau potable, ni d’eau courante sur le nouveau site officiel du bicentenaire. Les familles acquièrent le seau d’eau à 2 ou 5 gourdes, dépendant de la contenance du seau en question.
Munis de badges, les membres de l’ancien camp du Stade Sylvio Cator, dont un certain nombre commencent à héberger sur le nouveau site, font la navette entre les différents abris.
A signaler que selon la législation internationale, l’Etat a la responsabilité de garantir le droit au logement. Ce qui signifie qu’il doit lui-même respecter ce droit, prendre des mesures pour qu’il se réalise ou empêcher qu’il ne soit violé par des tiers. Dans le cas du déplacement des victimes du séisme qui avaient pris refuge au Stade Sylvio Cator, tout indique que les conditions dans lesquelles cette expulsion a eu lieu n’ont pas respecté les droits humains. La Mairie de Port-au-Prince n’a pris aucune mesure pour respecter le droit au logement convenable et a violé de nombreux autres droits fondamentaux de la personne, parmi eux le droit à un environnement sain et sécuritaire.
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