
« PASAJ »: documentaire actuel sur les violations des droits humains des Haïtiennes dans les marchés frontaliers
Le documentaire, réalisé par le Groupe Médialternatif avec le belge Pieter Van Eecke assisté de l’Haïtienne Evelyne Sylvain, reflète toujours des pratiques actuelles. « Deux ans après la réalisation du documentaire PASAJ, rien n’a été fait par les autorités haïtiennes en vue d’améliorer les conditions dans lesquelles ces femmes commerçantes effectuent leurs transactions dans les marchés frontaliers», a regretté la co-réalisatrice haïtienne qui intervenait au cours des débats ayant suivi la projection.
Dans l’assistance, on retrouvait des représentants-es de comités de droits humains du Réseau Frontalier Jeannot Succès, de comités de marchandes de l’aire frontalière, des étudiants-es, des journalistes, des membres d’organisations locales et internationales. L’une des deux actrices, Rosette Santana, avait fait le déplacement d’Anse-à-Pitres, commune frontalière du Sud-Est, jusqu’à Port-au-Prince, pour l’occasion.
Les commerçantes en proie à toutes sortes d’abus
L’univers d’abus, d’exploitation et d’humiliation des commerçantes haïtiennes au marché frontalier dominicain de Pédernales n’a pas changé, selon son témoignage. Les prélèvements abusifs effectués des deux cotés de la frontière réduisent à néant les maigres bénéfices espérés par ces commerçantes.
Le marché de Pédernales reste « un marché purement militaire », constate l’actrice-commerçante. Ce sont les militaires qui y font la loi comme le montre le documentaire PASAJ, insiste-t-elle. Aujourd’hui encore en 2012, des militaires dominicains pressent en toute impunité les Haïtiennes en état de grossesse, contre la barrière du passage frontalier, s’indigne Rosette Santana.
Sur un ton d’amère déception, elle raconte le combat qu’elle a mené. « Personnellement, j’en avais assez des abus commis par les militaires dominicains et j’avais pris la ferme décision de ne plus mettre les pieds au marché de Pédernales ; et alors nous avions, un groupe de commercantes et moi, commencé avec les moyens du bord, à établir un marché à Anse-à-Pitres ».
Petit à petit, le nouveau marché prenait corps et des Dominicains traversaient la frontière pour vendre et s’approvisionner du côté haïtien. Les échanges se faisaient dans le respect mutuel ; mais ceux qui tiraient parti du marché unique marqué par les extorsions, en ont pris peur et craignaient pour leurs intérêts. Ces Dominicains-la ont soudoyé des bandits pour terroriser les marchandes haïtiennes qui n’ont trouvé aucun appui auprès des autorités locales et le marché a disparu. « Quand il s’agit de défendre les intérêts des marchandes à la frontière, l’Etat haïtien a comme les yeux crevés », a critiqué Rosette Santana sous les yeux attentifs du public encore sous l’impact des images saisissantes du documentaire.
Pour sa part, la Responsable de l’Association des marchandes d’Anse-à-Pitres, Christa Jeudy, a rappelé que les produits locaux haïtiens comme le clairin, ne sont pas admis au marché frontalier de Pédernales. « Nous voulons que les autorités du pays construisent un marché pour nous afin que les militaires dominicains cessent de nous humilier », a-t-elle ajouté. Quant à la représentante du Comité des Droits Humains de Thomassique Jeanne Louis, elle a dénoncé « les saisies arbitraires et incessantes de marchandises haïtiennes opérées par des militaires dominicains. Thomassique est une commune frontalière du département du Centre. »
La projection du documentaire PASAJ était inscrite dans le cadre de la célébration de la Semaine de l’Europe et des membres de la Délégation européenne étaient présents en la circonstance. L’un d’eux, Sébastien Cocard (à droite), est intervenu sur l’appellation de « marché binational » couramment utilisée. «Le marché binational, ça n’existe pas, on est plutôt en présence de marchés frontaliers imposés par la République Dominicaine», a-t-il déclaré, ajoutant que l’Union Européenne « veut construire un marché binational à Ouanaminthe », ville frontalière du Nord-Est d’Haiti.
Les débats animés par le responsable de Programmes du GARR, Patrick Camille, ont été riches en propositions formulées par les spectateurs-spectatrices comme : la collaboration active des médias haïtiens pour la vulgarisation du documentaire à travers le territoire, l’établissement systématique de marchés organisés du coté haïtien, l’élaboration d’une législation sur la frontière incluant une gestion des marchés respectueuse des droits des commerçantes haïtiennes, usagers majoritaires de ces marchés ; le développement des villes limitrophes des villes dominicaines et le renforcement de l’agriculture haïtienne.
PASAJ ne doit pas rester actuel
Face à ce documentaire qui remonte à 4 années, des interrogations brûlantes persistent : quand donc les images de femmes fouettées par des policiers haïtiens sur le pont de la Rivière Massacre ou dépouillées brutalement par des militaires dominicains feront-elles parties du passé ?
4 ans après la première projection, PASAJ charrie toujours un cri, une émotion douloureuse, un frisson d’indignation, un appel à la responsabilisation des autorités haïtiennes et un engagement citoyen, tout cela traduit en un Jamais plus! Oui, jamais plus la dignité des marchandes haïtiennes ne doit être mise entre parenthèses dans les marchés frontaliers, selon les divers témoignages exprimés.
Faut-il croire, enfin, que les paroles de changement qui flottent sur les lèvres des nouveaux dirigeants haïtiens s’habilleront bientôt de réalité et feront un….passage obligé à la frontière au point que les images de PASAJ ne seront plus que des images d’archives ?
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