Des Haïtiens/nes et Dominicains/nes s’engagent à poursuivre la défense des droits humains à la frontière
Assis côte à côte dans l’auditorium de la Mairie de Jimani, en cet après-midi du 28 janvier 2011, les représentants-es haïtiens et dominicains du Réseau Frontalier Jeannot Succès (RFJS) pour la Promotion et la Défense des Droits Humains ont suivi avec attention les différentes interventions qui ont marqué le lancement du nouveau projet de renforcement du Réseau établi depuis 2001 à la frontière entre les deux pays.Ils/elles sont venues de partout: du Plateau Central, de l’Ouest, du Sud-Est et du Nord-est d’Haïti, mais aussi du Sud et bien loin de la région centrale et septentrionale de la République Dominicaine. Cette soixantaine d’hommes et femmes des deux côtés de l’ÃŽle, engagés-es depuis une dizaine d’années dans la militance sur les droits humains, savent bien en quoi le mot frontière interpelle leur vigilance au quotidien: spoliations, traite d’enfants, trafics d’adultes, abus à l’encontre des usagers des marchés binationaux, violences physiques et psychologiques, rapatriements déshumanisants, assassinats….La liste est longue et l’un des premiers intervenants à cette rencontre, en l’occurrence, le Père jésuite Regino Martinez ne manquera pas de souligner plusieurs points qui restent de grands défis à relever comme le respect des droits de la personne dans les marchés frontaliers et l’application du Protocole sur les rapatriements signé par les gouvernements Préval et Fernandez.Dans son intervention, la représentante du RFJS dans la région Nord de la République Dominicaine, Mme Hilda Peña a renouvelé l’engagement du Réseau à poursuivre son travail de vigilance, de défense et de promotion des droits humains à la frontière. Prenant la parole à la fin de la cérémonie, le coordonnateur du réseau du côté haïtien, M. Alexis Alphonse, a appelé tout un chacun à contribuer dans cet effort d’établir à la frontière haitiano-dominicaine un climat de justice et de respect mutuel.Le nouveau projet de Renforcement du Réseau Frontalier Jeannot Succès qui s’étendra sur 3 ans, vise à augmenter dans les zones d’intervention, la capacité des groupes vulnérables et des acteurs locaux à assurer la promotion et la défense des Droits Humains ainsi que la gestion pacifique des conflits. Le RFJS bénéficiera de l’accompagnement de quatre institutions établies des deux côtés de la frontière. Il s’agit, du côté haitien du Groupe d’Appui aux Rapatriés et Refugiés/GARR et de Solidarite Fwontalye, et côté dominicain de Solidaridad Fronteriza et du Service Jésuite aux Réfugiés et Migrants(SJRM). Ce projet binational qui a reçu le concours financier de l’Union Européenne /UE et l’appui de l’organisme britannique Christian Aid, intervient à un moment où les actes d’intimidation, de discrimination et les rapatriements intempestifs se multiplient à l’encontre des migrants-es haïtiens en République Dominicaine sous couvert de lutte anti-choléra. A la cérémonie de lancement du projet à Jimani, Alexandre Polack et Jonathan Pitts, représentants de l’UE respectivement en Haïti et en République Dominicaine, ont exprimé leur soutien vis-à-vis des défenseurs-es des droits humains du RFJS. Ils les ont encouragés à leur faire part de toute situation alarmante dont ils/elles seraient éventuellement l’objet dans le futur. Quant à Sophie Richmond, représentante de Christian Aid en République Dominicaine, elle a exprimé sa joie de voir se poursuivre le travail de renforcement du Réseau en vue de la promotion et de la défense des droits humains à la frontière haitiano-dominicaine.De son côté, la chargée de Communication et Plaidoyer du GARR, Lisane André, a relevé le caractère symbolique de la cérémonie de lancement réalisée dans cette ville frontalière de Jimani, la plus proche de Port-au-Prince et vers laquelle s’étaient dirigés de nombreux blessés haïtiens du séisme du 12 janvier. Leur passage avait été facilité et à Jimani, ils/elles avaient reçu des soins ou avaient été orientés-es ailleurs en République Dominicaine en compagnie des membres de leur famille. «Ces moments de solidarité doivent nous convaincre que de meilleures relations sont possibles entre nos deux peuples voisins même si aujourd’hui une tendance à un retour d’anciennes pratiques de violations des droits de la personne est observé » selon la représentante du GARR. Mme André a aussi retracé brièvement l’histoire du Réseau qui porte le nom d’un migrant haïtien, Jeannot Succès, qui avait franchi la frontière le 12 août 2000 en quête d’emploi. Il avait versé 1000 gourdes pour la traversée. Suite à un accident survenu à bord du véhicule qui le transportait, il avait décidé de regagner Haïti avec 3 compagnons de route. Mais, en chemin, le commandant de la caserne dominicaine de Cañada lui réclama 20 pesos. Le migrant haïtien lui répondit par la négative ajoutant qu’il avait déjà payé 1000 gourdes pour la traversée. Le militaire l’arrêta sur le champ, le conduisit à la caserne où il fut sauvagement battu. Jeannot Succès âgé de 22 ans, rendit l’âme le lendemain 13 août à un centre hospitalier dominicain. Sa tombe a été érigée à Miguel (Plateau Central) à la frontière entre les deux pays. Plusieurs organisations haïtiennes et dominicaines s’étaient mobilisées pour dénoncer ce crime.Moins d’un an plus tard, des organisations dominicaines et haïtiennes dont le GARR, ainsi qu’un ardent défenseur de la cause des migrants et défavorisés des bateys, le Père Pedro Ruquoy, décidèrent de garder son nom à jamais dans la mémoire des deux peuples mais surtout d’établir un espace commun pour la défense des droits humains à la frontière. Ainsi fut créé le 2 juillet 2001 le Réseau Frontalier Jeannot Succès.
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